La Révolution introuvable
Raymond Aron résista à la fascination de Mai 68. Là où la plupart virent une révolution, il dit dans La Révolution Introuvable qu'il ne s'est agi que d'un « psychodrame », un « marathon de palabres », une « négation utopique de la réalité ».
Publié dès le mois d'août, le livre rassemble une interview du philosophe par Alain Duhamel et quelques textes publiés dans le feu des événements. Observateur engagé et lucide, il explique pourquoi l'équilibre des forces politiques interdisait que les événements finissent en révolution. Son analyse des causes de la crise universitaire reste d'une troublante actualité, ainsi que celles des racines profondes de Mai 68 : la difficulté des sociétés libérales et productivistes à proposer un projet et un sens commun. Il s'interroge sur la nature d'un pouvoir politique capable de s'effondrer aussi brusquement en face d'une contestation si fragile sur les plans tant politique qu'intellectuel. Et il met en accusation une France excessivement hiérarchique et centralisée. Il pointe l'uniformité stérilisante du système d'enseignement universitaire. Il pointe aussi, après Tocqueville, le paradoxe d'une société tout entière prise entre une idéologie proclamée, égalitariste, et la réalité de son fonctionnement, qui demeure hiérarchisé à l'extrême, à travers un système de grades et de statuts, dignes de l'Ancien Régime. La lucidité du diagnostic qu'il fit des causes à l'origine des mouvements de révolte, des étudiants d'abord, des salariés ensuite, ne fait que rappeler que les questions de Raymond Aron en 1968 sont bien toujours celles de la France de 2018.