Jacques Amyot
Jacques Amyot est une figure originale et méconnue de la Renaissance et de l'Humanisme en France. Il est d'abord le traducteur des œuvres de Diodore de Sicile et surtout de Plutarque, les Vies parallèles des hommes illustres, oubliées une première fois en 1559 et les Moralia en 1572. Son travail est extraordinaire : Amyot ne dispose ni de grammaire, ni de dictionnaire complets. Il doit lui-même établir un texte grec fiable en comparant les différentes variantes à sa disposition, n'hésitant pas à voyager en France et surtout en Italie pour étudier des documents inédits. Enfin, et toute sa gloire est là, il doit assurer le passage du grec au français du XVIe siècle, qui n'es pas encore une grande langue de l'époque classique. Elle est un quasi-dialecte qui prétend, pour servir l'affirmation de la royauté française égaler le latin ou le grec. L'édit de Villers-Cotterêts fonde en droit cette ambition. Mais il faut encore forger la langue pour quelle puisse relever le défi, l'assouplir, la raffiner et la moderniser. Jacques Amyot y parvient grâce à son travail de traducteur. Il hellénise le français et francise le grec ; il adapte constamment notre langue afin qu'elle parvienne à la hauteur de sa matrice. Enfin, il articule la langue savante et le langage populaire pour enfanter une langue claire et accessible au plus grand nombre. Ainsi il fonde la prose moderne française.
Plutarque est l'encyclopédiste de l'Antiquité ; il traite de tous les sujets. Il est historien, moraliste, savant et philosophe. Il offre donc à Jacques Amyot un vaste terrain d'application de la langue française qui doit être capable de rendre compte de tous les aspects de la pensée.
Amyot est un homme d'influence qui connait une ascension sociale exceptionnelle. Il est issu d'une famille modeste de Melun et parce qu'il vit dans une société qui valorise l'intelligence et le travail, il monte progressivement les échelons. Tout jeune étudiant féru d'hellénisme, élève du grand Pierre Danès, il est remarqué au Collège du cardinal Lemoine pour ses aptitudes. Jacques Amyot a le sens des amitiés durables et des réseaux. Il apprend les règles de la vie de Cour et il évolue facilement au milieu des Grands du royaume. Mais sa condition sociale marque une limite. Seule la noblesse a en main les leviers de commande de la vie politique ; elle a aussi l'aisance matérielle qu'il n'a pas. Amyot doit manœuvrer pour assurer sa sécurité matérielle, s'adonner à sa passion des livres et jouer un rôle dans la vie intellectuelle et morale du royaume.
Il n'est pas qu'un érudit, en effet, la France du XVIe siècle connait huit guerres de religion. Il est membre du Conseil privé du roi, Grand aumônier de France, commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit, le seul roturier à y être admis. Enfin, il est évêque d'Auxerre de 1571 à sa mort en 1593. Dans ses différentes fonctions, il porte un idéal de modernisation et de mesure au milieu d'un siècle de passion et de violence.