La Fragilité
Nos sociétés connaissent un moment caractérisé, entre autres, par la " séparation " : nous sommes séparés de notre puissance d'agir, nous ne trouvons plus les passerelles entre nos souhaits et nos pratiques. Sortir du fatalisme ambiant, construire une pensée de l'agir : telle est la voie qu'explore ce livre stimulant, où Miguel Benasayag s'interroge sur les moyens de dépasser la séparation. Et de sortir de cette constellation où les humains se vivent comme des sujets séparés à jamais du monde " objet ", sur lequel, vainement, ils prétendent " agir ". Mobilisant notamment les apports récents de la neurophysiologie de la perception, il s'efforce de construire les bases d'une pensée de la décision. Les hommes se croient libres, dit Spinoza, du fait qu'ils ignorent leurs chaînes. Mais connaître nos déterminations, c'est ce qui nous permet, en partie, de sortir de cette liberté imaginaire et impuissante, pour accéder à une position où le destin n'est plus l'ennemi de la liberté. Loin de l'" homme ingénieur ", cette figure de l'humain qui conçoit un modèle et tente de l'appliquer au monde, ce n'est qu'à partir d'une pensée située, d'une pensée des corps, que nous commençons à dépasser la virtualisation de la vie. La fragilité est ainsi la condition de l'existence : nous ne sommes pas convoqués au lien, ni avec les autres ni avec l'environnement, nous sommes liés, ontologiquement liés. La fragilité, condition même de l'existence, est ce qui nous rappelle ces liens avec le tout substantiel dont nous sommes porteurs, mais aussi avec ce que notre époque oublie, la longue durée des phénomènes sociaux. Assumer cette fragilité est le défi de tout un chacun.