La dynamique sociale de la conscience
C'est à une part largement méconnue du travail de Norbert Elias, et jusque-là inédite en français, que nous convient les textes majeurs qui composent cet ouvrage. Elias y déploie en effet une véritable sociologie de la connaissance et des sciences. En mobilisant une impressionnante culture classique ainsi qu'une large palette de connaissances scientifiques (de la physique à la biologie), il se confronte à la fois à l'« absolutisme philosophique » et au « relativisme » de certains historiens et sociologues.
Au premier, et à travers une discussion extrêmement serrée et sans concession avec Karl Popper et Imre Lakatos, il reproche de prétendre dire ce qu'est la Science, et même ce qu'elle doit être, sans considérer ce que les savants font réellement dans leurs domaines scientifiques respectifs.
Quant au second, il regrette qu'il ne pose pas explicitement la question des conditions historiques dans lesquelles certains savoirs peuvent réellement gagner non seulement en autonomie vis-à-vis des intérêts des groupes qui en sont porteurs, mais aussi en pertinence par rapport à la réalité observable.
Ce faisant, Elias poursuit un double objectif : substituer à l'« homme » de la métaphysique transcendantale, les êtres humains au pluriel, interdépendants par nature et dans des cultures spécifiques ; remplacer les théories de la science au singulier (reposant sur le postulat d'une science universelle et d'une méthode unique) par une théorie des sciences au pluriel - soit les sciences employant différentes méthodes, reliées, en partie, à la diversité de leurs objets respectifs. Le caractère radical de cette authentique révolution copernicienne de la théorie des sciences et de la connaissance reste tout entier à découvrir.