Les amertumes
Cette pièce transposée d’Enfance de Gorki est le premier écrit pour le théâtre que Bernard-Marie Koltès a mis en scène et interprété (Alexis) en 1970 à Strasbourg avec sa troupe du Théâtre du Quai.
Le programme du spectacle était ainsi composé : une reproduction de l’affiche et deux textes de l’auteur :
« Le théâtre est un jeu. Si l’on veut y participer, il faut en connaître les règles, les accepter, s’y conformer, faute de quoi on se trouve inévitablement dans la position stupide d’un adulte jeté dans le filet compliqué des jeux d’enfants dont il ignore la trame, et auquel il ne pourra jamais se mêler ni rien comprendre.
Il s’agit avant toute chose de décanter de se purifier au maximum des encombrements de l’intelligence à fleur de peau, décentralisée jusqu’à l’extrême. Il s’agit de retrouver les facultés de perception premières, et d’autant plus profondes qu’elles sont premières. Il s’agit de chercher la compréhension parfaite, c’est-à-dire celle qui ignore l’exégèse et la justification.
Compte tenu de cela, la portée de ce spectacle se situe dans l’immédiat, dans l’expérience immédiate et, de ce fait, devrait interdire, je crois, toute espèce d’appréciation, en ce sens que l’expérience aura eu lieu ou n’aura pas eu lieu. En dehors de cela, rien en vaut la peine d’être envisagé.
Démonteur du mécanisme, explorateur des règles du jeu, origine et aboutissement du jeu lui-même, le personnage d’Alexis se situe hors de l’action, puisque l’action n’existe qu’en opposition à lui. Mais c’est par lui que le spectateur peut entrer dans les limites de l’expérience, découvrant avec lui et au fur et à mesure de son “ grandissement ” autant l’essence du jeu que la fragilité des conventions sur lesquels il est établi. »
« Comme l’acide sur le métal, comme la lumière dans une chambre noire, les amertumes se sont écrasées sur Alexis Pechkov.
Elles l’ont agressé avec la violence et la rapidité de la grêle et du vent, sans qu’un trait de son visage n’ait frémi.
Arraché, brûlé, debout enfin, il a arrêté les éléments comme on souffle une bougie.
Et sa voix a cloué le silence. »