Le réel : Traité de l'idiotie
Qu'est-ce que le réel et de quelle façon perçoit-on la réalité ?
Est-ce que l'existence, manifestation de la réalité, est une notion déterminée par un sens précis ainsi que l'exprime la philosophie hégélienne en définissant le réel par le rationnel ou ne procède-t-elle pas d'une série de hasards, quelconques, qui finissent par déterminer un sens, un peu à la manière de Malcolm Lowry quand il décrit dans Au-dessus du volcan, le chemin que décide finalement de suivre, le consul complètement ivre ?
Autrement dit est-ce que le réel résulte d'une logique interne déterminée et explicable ou bien n'est-il pas plutôt le fait de l'idiotie, c'est-à-dire de quelque chose d'à la fois solitaire, unique et inconnaissable ? (si le mot grec idiotes décrit une personne dénuée d'intelligence et de raison, il signifie d'abord simple, particulier, unique).
Cette interrogation du réel que propose Clément Rosset part d'une position critique face à la philosophie traditionnelle. Elle remet en question Kant et ses deux ouvrages fondamentaux, la Critique de la raison pure et la Critique de la raison pratique, considérées comme « Critiques non critiquante », et qui, selon l'auteur, débouchent toujours sur une forme de dogmatisme, mais elle s'oppose aussi à Hegel qui construit son système sur le concept de Savoir absolu, lequel ne donne que « l'illusion » d'un sens se développant à travers l'Idée, la Raison et l'Esprit. Clément Rosset en vient donc également à s'opposer aux « continuateurs contemporains » de Hegel, c'est-à-dire Bataille, Derrida et Lacan dont les travaux sont toujours fondés sur l'espoir d'un savoir, d'une explication à venir et pour qui tout se passe comme dans Le Procès de Kafka où l'on attend toujours d'avoir accès à la Loi.
Remettant en question la quête obstinée de la philosophie à vouloir percer le sens et la raison du devenir et de l'histoire, Clément Rosset entend rendre le réel à lui-même, à l'insignifiance. Il ne s'agit pas pour lui de décrire la réalité comme absurde ou inintéressante, mais à dissiper les faux sens qui l'entoure : il n'y a pas de mystères dans les choses, il y a un mystère des choses. Inutile de creuser les choses pour leur arracher un secret qui n'existe pas, c'est dans leur existence que les choses sont incompréhensibles.
L'étude du consul ivrogne d' Au dessus du volcan comme celles du désarroi amoureux ou de l'art apparaissent à l'auteur être les seules possibilités d'accès au réel. Elles se substituent aux démarches intellectuelles qui ne sont jamais que des spectacles du réel.
Clément Rosset analyse donc le sens que l'on donne au réel, comme sa version édulcorée, de la même façon qu'il étudie dans une seconde partie de l'ouvrage la grandiloquence - à travers laquelle on saisit Le réel dans l'écriture, la peinture, la musique et le cinéma - comme un moyen de lui échapper par le biais du langage et de la représentation.
Au terme de l'ouvrage se dessine le réel dans une perspective double, celle qu'offre l'idiotie : « Si le sort le plus général du réel est d'échapper au langage, le sort le plus général du langage est de manquer le réel. Il existe une chose indépendante du langage, qu'on appelle la réalité ».