Oreille rouge
Cet écrivain aime sa chambre, sa table, sa chaise, dans la pénombre : on l'envoie en Afrique où sont les lions, dans le soleil. Que va-t-il chercher là-bas ? Un grand poème, dit-il. Ou ne serait-ce pas plutôt l'inévitable récit de voyage que tant d'autres avant lui ont rapporté ? On l'a lu déjà, et relu. L'auteur va prétendre que des indigènes l'ont sacré roi de leur village. Il aura percé à jour les secrets des marabouts et appris de la bouche d'un griot vieux comme les pierres quelque interminable légende avec métamorphoses. Le pire est à craindre. Par bonheur, l'aventure tourne court. L'hippopotame se cache. L'Afrique curieusement ne semble guère fascinée par le courageux voyageur. En revanche, celui-ci prend des couleurs : est-ce le soleil ou la honte ? Nous l'appellerons Oreille rouge.
Chevillard s'attaque cette fois à la littérature de voyage. Et c'est un festival. Son héros hésite, joue avec la tentation de l'Afrique, parade en baroudeur, rêve du grand poème qui contiendra le continent tout entier, court après l'hippopotame qui ne cesse de se dérober...
L'auteur met ses pas dans les siens, épingle chacune de ses postures, pointe nos vanités, invente des proverbes, imagine des contes africains, disserte sur les moeurs de l'hippopotame. Pour mettre la littérature et le monde à l'épreuve. C'est du pur Chevillard. Une voie royale pour plonger tout habillé dans la magie d'une des oeuvres les plus singulières de la littérature française contemporaine.
Michel Abescat, Télérama