Critique, N° 742 :
Le Salon du livre a pour invité le Mexique. C'est un choix courageux. Le pèlerinage du Chiapas est passé de mode. Plus de guerilleros, ni d"ailleurs de Parti unique. Pas de líder maximo barbu, ni de tribun populiste et moustachu. Cette Amérique-là est-elle encore latine ? Ou bien, ALENA aidant, une sorte de Canada du Sud, arrimé au puissant voisin nord-américain ? Le regard français a du mal à accommoder sur un Mexique aussi infidèle à ses mythes...
De moins en moins politiquement « latin », le Mexique demeure-t-il culturellement « indien » ? Voire. L’anthropologue Paula López Caballero nous montre que cet imaginaire indien, dont le sous-commandant Marcos est le plus récent avatar, fut largement produit par les institutions mexicaines elles-mêmes — politiques et savantes. Mais cet imaginaire se défait ou se brouille. Et l’historien Ilán Semo nous aide à comprendre les désarrois des intellectuels mexicains, parties prenantes et eux-mêmes pris dans ce chamboulement des perceptions. Désarroi perceptible aussi dans d’autres domaines, comme le cinéma : Carlos Bonfil, critique à La Jornada, nous présente un état du cinéma mexicain, de ses difficultés et de ses combats.
Salon oblige : à la littérature revient la part du lion. Mais l’image littéraire du Mexique n’est pas plus nette que son image politique ou sociale. La littérature mexicaine n’est pas inconnue, mais souvent méconnue en France. Comment ne pas s’étonner, avec Marie Cordoba, qu’une Elena Poniatowska (née à Paris) reste si peu traduite en français ? Elle incarne pourtant une forte tradition de cette littérature : celle du détour et du retour dans la distance.
« Le Mexique est un pays qui ne s’intéresse qu’au Mexique », disait Benjamin Perret. Encore un mythe obsolète… Si la littérature mexicaine contemporaine est mal identifiée à l’étranger, en France particulièrement, n’est-ce pas au contraire pour avoir bravement fui les identifications faciles et les enracinements étroits ? Le beau texte d’Alberto Ruy Sánchez qui ouvre ce numéro porte témoigne de cette ouverture, vers l’ailleurs (ici le Maroc), vers le large. La question de l’identité mexicaine, devenue celle des « identités fugitives » du Mexique, est au centre de ce numéro. Toute la littérature mexicaine la pose tantôt ironiquement, tantôt douloureusement. On s’en persuadera en lisant, outre le texte déjà mentionné sur Elena Poniatowska, l’article que la romancière et critique Margo Glantz consacre à Sergio Pitol et Mario Bellatin, entre continuité et rupture, ainsi que le panorama d’une fiction en proie à la violence que brosse une jeune romancière, toute récente lauréate du prix Antonin Artaud, Guadalupe Nettel.
Alberto RUY SANCHEZ
Mogador, Mexico : identités fugitives
Margo GLANTZ
Tradition et rupture dans la littérature mexicaine
Guadalupe NETTEL
Le roman mexicain en proie à la violence
Marie CORDOBA
Trois femmes. Genre et biographie chez Elena Poniatowska
Paula LÓpez Caballero
L'État, l'« Indien » et l’anthropologue
Ilán SEMO
Les intellectuels dans leur (nouveau) labyrinthe
Carlos Bonfil
Du désenchantement à la résistance culturelle