Critique, N° 776-777, Janvier- : Populismes
Un spectre hante l'Europe : le spectre du populisme. Et la France, en cette année d'élection présidentielle, n'est pas épargnée. Peu d'éditoriaux, pas de débat pré-électoral où le mot ne finisse par être lâché contre l'adversaire à discréditer. A tant servir, un mot s'use vite et plus personne aujourd'hui ne semble bien savoir où commence et où s'arrête le populisme.
Les seuls à pouvoir s'en réjouir sont ceux qui n'auront bientôt plus rien à redouter d'une étiquette devenue insignifiante. Il suffit de lire le courrier des lecteurs des quotidiens ou d'aller visiter quelques sites et forums sur la toile pour s'en convaincre : tous ceux et celles qui, en France, portent encore intérêt au débat public sont exaspérés par ce ping-pong verbal et ces abus de langage. Définissez avant d'accuser, demandent beaucoup d'internautes !
Et si vous êtes incapables de définir le populisme, cessez donc d'en faire une arme d'excommunication majeure et l'ultima ratio des débats télévisés ! Mais ce serait jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous faisons dans ce numéro un autre choix et un autre pari. Le pari que cette notion de populisme, trop galvaudée, a encore quelque chose à nous apprendre sur les phénomènes qu'elle désigne si mal.
Le choix d'en rouvrir la question sans préalable et dans sa plus grande extension possible. Car si les politologues sont les premiers intéressés à mieux cerner la notion et son histoire (comme le font dans ce numéro plusieurs d'entre eux), ils n'ont pas le monopole de sa définition ni d'une investigation qui doit être menée dans bien d'autres domaines.
Qu'en est-il des images du Peuple qui servent de socle au populisme ? Qu'en est-il du populisme en art, en littérature, parmi les intellectuels et les savants ? Du populisme en matière d'écologie ou de féminisme ? Et dans le champ politique lui-même, qu'en est-il des variétés nationales du populisme ? Le populisme suisse ressemble-t-il au populisme à la française et au Tea Party Movement américain ?
Car le Populisme est Légion, d'où notre titre au pluriel : " Populismes ". On accuse souvent (et souvent à juste titre) les populistes d'instrumentaliser le discours politique. Cessons donc d'instrumentaliser la notion de populisme. Et pour cela, commençons par le restituer dans sa complexité, et aussi sa diversité. C'est à quoi s'efforcent, dans ce numéro spécial de Critique, des spécialistes venus de nombreuses disciplines, de la science politique à la philosophie et à la littérature, du droit et de la sociologie à l'histoire des idées.