Djinn : Un trou rouge entre les pavés disjoints
Le court récit que nous donne ici Robbe-Grillet va sans doute surprendre ceux qui le prétendent un auteur “ difficile ”. On peut en effet sans aucune peine lire cette histoire “ d'amour et de science fiction ” (comme dit la petite Marie) en n'y voyant que la narration scrupuleuse d'une aventure, étrange certes, mais bien enracinée dans notre Paris d'aujourd'hui, parfaitement reconnaissable.
Pourtant, derrière ce décor tout à fait quotidien derrière la façade lisse de cette écriture tranquille, transparaît un des problèmes qui ont le plus remué les consciences du XXe siècle et tout le roman moderne : celui de la “ cohérence ” du réel, c'est-à-dire celui de la continuité causale du temps, de la matière et de l'existence.
Entre les pavés disjoints d'une ruelle, dans les interstices trop larges, apparaît tout à coup un autre univers, qu'il est trop facile d'appeler “ rêve ” ou “ fantasmes ”. Que serait un amour qui se garderait, par prudence, d'y regarder ? En fait, la mise en abîme des fictions successives qui s'emboîtent retrace cette marche dangereuse au bord des abîmes, avec chutes vertigineuses et passages secrets, qui constituent notre vie.
Depuis Un régicide, son premier roman, Robbe-Grillet n'a cessé (bien souvent sous le masque pervers de l'objectivité ou de la blancheur) d'en explorer les détours imprévus, les impasses, les miroirs, les fascinations, les scintillements et les fantômes... Mais peut-être faut-il dire aussi que l'humour de l'auteur nous joue cependant, ici, d'autres tours...