Traité culinaire à l'usage des femmes tristes
« Saine coutume est de jeûner aux jours du malheur.
Pourtant, ma longue pratique des fruits et légumes, herbes et racines, muscles et viscères d’animaux sauvages ou domestiques, m’a parfois montré la voie du réconfort. Il s’agit de préparations simples, qui présentent un moindre risque. Certes, accueille-les avec prudence : les meilleurs remèdes peuvent être des poisons pour certaines d’entre vous. Toutefois, n’hésite pas à les goûter, à en tâter. Je te déconseille de caresser, en toute passivité, ton malheur. La tristesse constipe. Recherche la purgation des larmes, ne dédaigne pas la transpiration. Après le jeûne, tourne-toi vers mes recettes. Ma façon est équivoque. Il m’a semblé que mon art n’était pas très respectueux des préceptes. Défie-toi de moi, ne cuisine pas mes potions, si tantôt t’effleure un soupçon. Mais lis cette illusoire ébauche de sorcellerie. Le sortilège, s’il opère, ne le doit qu’au bruit qu’il aura fait : ce qui soigne, c’est le souffle exhalé par les mots. »
De la mélisse pour faire revenir un être aimé, ou l’oublier tout à fait ; un chou-fleur en brumes pour déguster la tristesse ; de l’urine et du basilic pour retrouver sa jeunesse ; une longe de veau au poivre pour délier la langue d’un taiseux ; des spaghettis al dente, ail, huile, piment, un verre de vin rouge et deux livres de poésie pour guérir l’indigestion de mots ; telles sont les recettes livrées par Héctor Abad, recettes de vie, d’amour, de passion, de jalousie et surtout une grande leçon de littérature.