Description d'un paysage. Miniatures suisses
Pour qui veut interroger la trace d'un homme sur la terre, les migrations de l'auteur du Jeu des perles de verre, du Wurtemberg aux versants méditerranéens de la Suisse, ne manqueront pas d'enseignements. Né à Calw (Allemagne), Hermann Hesse s'est établi en 1912, après la naissance de son troisième fils, en Suisse, près de Berne, puis, après la séparation conjugale en 1919, à Montagnola dans le Tessin, où il demeurera jusqu'à sa mort. Comme Frédéric Klein, le personnage de la nouvelle Klein et Wagner, Hermann Hesse s'est dirigé toute sa vie vers le Sud, vers un pays étranger qui est peut-être l'Italie, mais qu'il a certainement inventé. Pourquoi le Tessin ? Parce que le Tessin, région italophone de la Suisse, correspondait sans doute à la vision que l'écrivain avait du pays de Boccace et de saint François. Après Nietzsche, Wagner, Goethe et les Empereurs germains du Moyen Age, Hesse était à la recherche d'une nouvelle terre pour s'y enraciner et y renaître. En 1919, Hesse emménage Casa Camuzzi (Tessin). Il organise sa vie : le jour, il écrit, il fait sa promenade quotidienne souvent muni d'un petit escabeau pour peindre, son sac de montagne sur le dos et un chapeau de paille à larges bords sur la tête. Il voit très peu de monde. Romain Rolland lui a rendu visite en 1920 : " Il s'intéresse beaucoup à la peinture, semble bien au courant des artistes modernes et la musique lui suggère toujours des images, des paysages. " Il l'a trouvé - maigre, creusé, rasé, ascétique, durement taillé dans l'os, comme une figure de Hodler. Il a passé par une crise extrêmement dure, d'où il est sorti un homme nouveau. Ainsi le " paysage " évoqué dans ces textes écrits entre les années 1900 et 1960, est avant tout le paysage intérieur d'un homme qui se " livre " ici comme il ne s'est sans doute jamais livré dans aucune autre de ses oeuvres. Au cours de ses randonnées à travers la campagne suisse, Hesse a retrouvé l'authentique inspiration des mages romantiques : il a senti ici, comme nulle part ailleurs, un accord profond entre son individu et l'Univers, il s'est fait, dans la tradition du taoïsme dont il possédait une authentique connaissance, le trait d'union entre la terre et le ciel. Au Tessin peut-être, à ces moments perdus qu'il a tenté de rapporter dans ces textes, l'homme Hesse s'est réconcilié avec lui-même.