Journal littéraire
Paul Léautaud, né en 1872, n'a eu de cesse, sa vie durant, d'observer ses contemporains et d'analyser la société dans laquelle il vivait. " Partout malicieux, indiscret, hardi... ", il se plut à fréquenter les milieux intellectuels parisiens, tandis qu'il vivait de façon très solitaire, entouré seulement de ses animaux. Se voulant profondément classique, il critiqua nombre de ses contemporains. " C'est le juge impitoyable, l'entrepreneur en démolition quasi systématique, le destructeur de renommée, le concierge des Lettres, ou son Attila. Où Léautaud passe, l'écrivain trépasse ", disait jean Chalon.
Œuvre maîtresse à la valeur tant historique que littéraire, le journal littéraire propose avant tout une galerie de portraits de ceux qui fréquentèrent le Mercure : Vallette, Rachilde, Schwob, de Gourmont, Valéry, Duhamel, Fargue, Giraudoux, Sacha Guitry, Apollinaire... Les descriptions y sont minutieuses, les réflexions perspicaces et réalistes, les jugements tranchés, et l'admiration rare. Mais surtout le Journal décrit la vie même de son auteur: fidèle à lui-même, il jugea au cours de sa vie son être et son œuvre avec une sincérité inflexible. Son but n'était pas de faire de la littérature, mais de transformer ce qu'il vivait en matière littéraire. " Qu'est-ce qu'un homme qui tient un journal ? Un bavard, un collectionneur de propos, d'anecdotes. Cela ne requiert aucun talent. Rien d'un créateur. Autant dire un zéro. " Cette réflexion désabusée est à l'image du journal tout entier : Léautaud y apparaît avec sa tristesse, son manque de confiance en soi, son égocentrisme. "Je m'en aperçois de plus en plus: une seule chose m'intéresse : moi ", écrivit-il le 6 mai 1903. Le choix des pages du journal de Léautaud, que nous proposons ici, fut d'abord publié en 1969 sous la direction de Pascal Pia. Cette véritable gageure (réduire quelque dix mille pages à un millier) fut alors saluée avec enthousiasme par la critique.