Simone de Beauvoir, Marguerite Yourcenar, Nathalie Sarraute
Editeur : Bibliothèque Nationale de France
Marguerite Yourcenar, lectrice et juge de son œuvre Attentive à l’extrême Lucette Finas Ce sous-titre est construit de deux façons : d’une part il signifie : « extrêmement attentive », comme Yourcenar l’est à tout et en tout ; d’autre part : « attentive à ce qui est extrême, tendue vers ce qui repousse nos limites ».
Qualité d’une exigence, qualité d’une décision. Yourcenar en effet décide, tranche calmement. Ce geste va très au-delà du trait de caractère : il trace une esthétique. Marguerite Yourcenar, à travers ses préfaces, postfaces, carnets de notes et sa correspondance, ne cesse d’accompagner, discuter, mettre en jeu son œuvre, en partie, comme l’affirme Michèle Sarde, afin de « se substituer au critique et de le « doubler » pour le circonvenir », mais aussi, croyons-nous, parce qu’elle s’y sent autorisée par le commerce des classiques. Nous la voyons plus d’une fois exercer son droit à juger ses textes, à redresser courtoisement mais fermement telle ou telle interprétation qui lui paraît erronée. La courtoisie, en effet, l’emporte chez celle qui a fait sien le mot de Joubert : « Qui n’est pas assez poli n’est pas assez humain ». Il n’en est pas moins vrai que sa franchise en toutes situations peut laisser pantois un lecteur enclin aux ménagements. C’est une franchise qui décape, tranche, dénude et, lorsqu’on se familiarise quelque peu avec son œuvre romanesque, avec ses textes biographiques et critiques, avec sa correspondance, on reçoit cette franchise comme la manifestation d’une lucidité libre. Et c’est peut-être, avec l’immense culture, le trait le plus éclatant de Yourcenar. Lucette Finas est agrégée de lettres classiques et docteur-professeur émérite à l’Université de Paris 8, ex-directrice de programme au Collège international de philosophie. Elle est actuellement professeur invité à New York University. Membre du comité de rédaction de La Quinzaine littéraire. Elle a publié des romans : L’Échec, Seuil, 1958, Le Meurtrion, Seuil, 1968, Précaire, Digraphe, 2000 ; des nouvelles : Une mère à réparer, Galilée, 1993 ; des essais : La Crue, Gallimard, 1972, Le Bruit d’Iris, Flammarion, 1979, La Toise et le Vertige, Des Femmes, 1986, Le Toucher du Rayon, Nizet, 1996, Centrale pureté, quatre lectures de Mallarmé, Belin, 2000.
Simone de Beauvoir Elisabeth Badinter Elisabeth Badinter revendique ici un point de vue hautement subjectif sur Simone de Beauvoir qui fut, pour elle comme pour beaucoup d’autres femmes, une « mère spirituelle ». A travers ses romans et sa correspondance avec Algreen parue en 1997, à travers ses détracteurs, É. Badinter interroge le destin de cette femme qui ne s’est pas battue toute sa vie – après avoir fait le serment d’une « alliance sacrée » avec Sartre, alliance fondée sur la liberté réciproque et l’exigence de vérité - pour n’être que la favorite du harem sartrien. Triste destin de féministe... Au contraire, elle a respecté ses promesses de jeune fille ; ses romans sont une véritable pédagogie de la liberté féminine, et le couple qu’elle a formé avec Sartre, un paradigme de l’égalité entre les sexes. Le Deuxième Sexe, avec son célèbre « On ne naît pas femme on le devient » est le message le plus libérateur qu’on ait jamais adressé aux femmes, illustré par la vie de son auteur telle qu’elle l’a donnée à voir, avec son exigence de tout dire, non pas comme sur le divan du psychanalyste mais dire sans préoccupation morale, dire l’indicible aussi comme dans La Force de l’âge, La Cérémonie des adieux et Tout compte fait. Beauvoir a veillé à la conservation du couple Sartre-Beauvoir, Beauvoir –Sartre, couple étrange qui ne ressemblait à aucun autre, incarnant les valeurs de prestige intellectuel, d’égalité entre un homme et une femme. Le débat qui fait intervenir Michelle Perrot et Annie Cohen-Solal a permis de préciser le contexte dans lequel paraissent les œuvres de Simone de Beauvoir au sortir de la guerre, l’importance de son engagement aux côtés des féministes dans les années 1970, mais aussi de mettre en lumière la philosophe qu’elle était. Annie Cohen-Solal en particulier s’interroge sur la place de Beauvoir dans la vie de Sartre. Au milieu des autres femmes, Simone de Beauvoir n’a-t-elle été qu’une chroniqueuse, participant à la publicité de la vie de Sartre ? ou au contraire, dans la vie de couple très nouvelle qu’ils ont inventée, n’a-t-elle pas su être la coéquipière, acceptant polygamie, voyages, priorité donnée au travail, mais plus encore jouant le rôle d’interprète, remplissant une fonction de catalyse de l’œuvre de Sartre ; c’est grâce à elle qu’il a pu tester sa théorie sur la contingence. Beauvoir éditrice permanente et quotidienne de Sartre.
Le théâtre de Nathalie Sarraute ou la scène renversée Jacques Lassalle Revenant sur un texte qu’il avait écrit à propos du Silence et de Elle est là en 1993 lorsque le théâtre du Vieux-Colombier devenait la deuxième salle de la Comédie-Française, le metteur en scène Jacques Lassalle nous donne ici, mêlé de « digressions intercalaires » qui empruntent à ces souvenirs de répétitions avec Nathalie Sarraute et à leurs conversations, un texte personnel où tour à tour sont évoqués Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Beckett, Sartre, Beauvoir, Miro, Soulages et Flaubert, au fil d’une interrogation sur le passage du roman au théâtre, sur cet anti-théâtre qui est pourtant un théâtre à part entière, le théâtre d’un auteur « fascinée par les acteurs autant qu’elle peut les fasciner ». « Ce qui retenait la romancière “au bord du théâtre”semble-t-il, c’était qu’elle douta longtemps de pouvoir imposer, comme dialogue effectivement échangé sur la scène, ce qui n’était dans ses romans qu’une sorte de pré-dialogue cherchant ses mots et sa substance sous l’habituelle surface des conversations ordinaires. Et puis, un jour, avec Le Silence – mesure-t-on assez la simplicité rayonnante de pareils titres ? - « les personnages se sont mis à dire ce qu’ordinairement on ne dit pas. Le dialogue a quitté la surface, est descendu et s’est enveloppé au niveau des mouvements intérieurs qui sont la substance de mes romans. Il s’est installé d’emblée au niveau du pré-dialogue [...]. Ainsi le dedans devenait le dehors et un critique, plus tard, a pu parler à juste titre, pour qualifier ce passage du roman à la pièce, de gant retourné. » Jacques Lassalle est metteur en scène.