Le poète et « le flot mouvant des multitudes »
Cet ouvrage prolonge les conférences données par Yves Bonnefoy à la Bibliothèque nationale de France, dans le grand auditorium du site François-Mitterrand, les 26, 27 et 29 novembre 2001. Dans le cadre des conférences organisées grâce au soutien de la Fondation Simone et Cino del Duca, la BNF a accueilli Yves Bonnefoy, auteur d’une œuvre de poésie qui compte parmi les plus importantes de notre temps et qui s’accompagne, depuis ses débuts, d’une réflexion sur l’art et la littérature. Yves Bonnefoy a occupé la chaire d’Études comparées de la fonction poétique au Collège de France jusqu’en 1993.
Le Poète et « le flot mouvant des multitudes » : ces mots sont de Baudelaire, ils disent la foule qui vient au-devant du poète dans les rues du nouveau Paris, et il s’agira de comprendre comment cette rencontre d’inconnus a accéléré dans quelques grands esprits aux XIX et XX siècles la prise de conscience de soi qui change la poésie.
Avec, en particulier, le brusque accroissement démographique au tournant du siècle, les signes et les symboles traditionnels ne permettent plus de déchiffrer passants ou passantes. Un questionnement nouveau peut se donner libre cours et ce seront deux grandes pensées, celle des signes, celle des symboles, entre lesquelles les poètes ne cesseront d’hésiter.
Imaginer l’autre le transfigure ; imagination et représentation de l’autre devenu second degré de la réalité et qui, mystérieusement, s’inscrit ainsi dans les profondeurs de la ville. Rêverie « gnostique » qui va de Nerval au Breton de Nadja, qui traverse Lautréamont et qui écrit une poésie se cherchant dans une langue de prose. L’être qui passe en sa fugitivité, en son évidente précarité, est ce qui peut être tenu pour le plus haut de l’intelligence poétique. Le percevoir, c’est comprendre que la finitude est la seule réalité, le seul bien, dans la disparition des chimères. C’est Baudelaire se ressaisissant dans les Tableaux parisiens, Rimbaud fuyant, mais en le sachant, une tâche trop difficile.