Mécréance et Discrédit : Tome 3, L'esprit perdu du capitalisme
La société souffre aujourd'hui de la consommation. Elle le sait, ou elle le sent. Et plus elle le sait - ou le sent -, et plus elle consomme. Ce cercle vicieux est un cercle addictif, typique du capitalisme hyperindustriel. Il engendre mécréante et discrédit, perte d'individuation psychique et collective, désaffection et désaffectation des individus. Comment en sortir ? Parvenu au stade où la toxine crée plus de souffrance que de soulagement - étant devenue un système de dépendance sans issue, puisque l'augmentation des doses conduit à la diminution de leurs effets -, le toxicomane 1) voudrait se désintoxiquer, ayant identifié et éprouvé les conséquences de l'intoxication comme telle, et cependant 2) ne peut pas et ne veut pas actuellement cesser de consommer le poison. Comment faire pour que ce toxicomane en souffrance, c'est-à-dire en puissance de se réindividuer, et qui voudrait se désintoxiquer, c'est-à-dire cesser de se désindividuer, trouve le courage de passer à l'acte ? Telle est la question politique comme procédure thérapeutique - entendons par là : comme dispositif de soins, cura, mélétè, therapeuma, souci de soi entendu comme gouvernement de soi et des autres (Michel Foucault), bref, otium, et otium du peuple s'il est vrai que le demos est à la fois malade et puissant d'une doxa (d'une opinion publique) toxique, mais aussi tonique de toutes ses possibilités de passer à l'acte (comme le montre Maurice Blanchot dans L'Entretien infini). Intoxiqué, le capitalisme est aujourd'hui ce qui doit être défendu (contre lui-même) et non ce qui doit être combattu : il faut l'empêcher de très mal finir, et trouver la voie pour que cette époque de l'individuation se poursuive et finisse bien : conduise à autre chose. Une nouvelle société industrielle doit être pensée, selon un autre modèle industriel, qui repose sur une socialisation des technologies issues de la grammatisation, que Platon appelait déjà des pharmaka - à la fois poisons et remèdes. Il n'y aura un avenir de la société industrielle que dans la mesure où celle-ci saura cultiver à nouveau un otium du peuple comme sublimation : que dans la mesure où elle saura se constituer en une nouvelle économie libidinale qui ne peut être qu'une écologie libidinale des pharmaka de notre temps. Le fait, c'est la désublimation. Et le problème, c'est ce que le processus d'individuation psychique et collective suppose de sublimation étayant le surmoi nécessité lui-même par ce que j'appelle l'être en défaut, et qui ne peut faire lui-même défaut sans que la barbarie ne règne - car c'est alors que, comme l'a écrit Sigmund Freud dans L'Avenir d'une illusion, " les créations de l'homme sont aisées à détruire et [que] la science et la technique qui les ont édifiées peuvent aussi servir à leur anéantissement ".