Banalité de Heidegger
La publication des Cahiers personnels du Heidegger des années 1940 (3 volumes sont déjà parus en allemand dans la Gesamtausgabe) a révélé une pensée très explicite du rôle « métaphysique » joué par le Judentum (l'être-juif, le peuple juif, la « juiverie ») dans l'autodestruction de l'Occident. Cette pensée, avec son caractère systématique et argumenté, ne s'était jamais déclarée dans les textes publics, même si ceux-ci ne laissaient pas ignorer un antisémitisme . Or le philosophe avait lui-même prescrit la publication de ses Cahiers, qui en 2015 n'est pas achevée et dont on sait déjà que la suite confirme amplement l'antisémitisme qualifié de « historial » par Peter Trawny, éditeur et commentateur de ces volumes. S'il a voulu cette publication c'est qu'il tenait à ce que soit connue sa conviction d'un destin attribué à un peuple supposé le plus doué pour le calcul et la « machination ». Ce destin devait accomplir l'« oubli de l'être » engagé depuis Platon. Cet accomplissement devait rendre possible un « autre commencement » de l'avènement de l'« être/Seyn ». À ce compte, l'extermination des Juifs était un sacrifice inscrit dans le cours de ce destin. Les nazis n'étaient pas capables de penser à cette hauteur, et d'ailleurs eux-mêmes se sont précipités avec leurs victimes dans la ruine occidentale. L'antisémitisme de ces réflexions reprend le discours le plus lourdement banal de l'époque, celui du « complot mondial des Juifs ». Jamais Heidegger ne s'interroge sur sa longue provenance chrétienne ni sur son rôle dans une société qui s'inquiète d'elle-même (du capital, de la technique, etc.). Une obstination hypermétaphysique - bien que se déclarant antimétaphysique - exige qu'on désigne une figure du mal et qu'on appelle à une refondation totale. C'est odieux, c'est furieux, c'est insensé, c'est presque pathétique. Pourtant la pensée de la déconstruction de l'ontologie aura marqué de manière irréversible le tournant philosophique du XXe siècle : toute la suite en témoigne. Cette contradiction n'est pas celle d'un seul : elle est nôtre. Il faut donc tout reprendre, il faut détacher la pensée de l'« être » de celle d'une « histoire destinale » (voire « progressiste », autre banalité). Et d'abord, extirper le trop banal désir de pureté et d'originarité qui a produit la haine chrétienne des Juifs avant de la renouveler en racisme et en dénonciation d'une fureur économique - dont au demeurant la réalité n'est que trop manifeste.