Leçons de ténèbres avec sarcasmes
Quand un texte vient jusqu'à atteindre la béance où il puise, il concerne ce que nous pouvons connaître de plus contemporain. C'est le cas du chef-d'oeuvre surprenant de Sadegh Hédayat, La Chouette aveugle, célébré par André Breton.
Ce court roman est troué de textes anciens, de légendes lointaines, de rêves érudits, de cauchemars, d'espaces et de temps disjoints. Un peintre d'écritoires, enfermé dans sa chambre obscure, raconte le meurtre insensé qu'il a commis sur sa femme et le deuil infini qu'il en éprouve. Mais ce deuil ouvre sur ses propres ténèbres et sur ce qui se joue parfois dans le crime, une absence abyssale. Les abîmes déplient alors sur des temps contrariés et distincts, sur la manière dont les humains fabriquent leurs propres gouffres par ignorance, fanatisme, cruauté, bêtise.
De ces ténèbres naît une écriture sans bavardage, ouverte sur des sarcasmes, passeurs d'une lucidité qui nous touche aujourd'hui. Nous apprenons alors sur le rêve, sur le crime, sur le temps, sur la folie, sur l'inconscient, sur une position exacte de l'écriture.
Cet essai n'est pas un commentaire, mais, à partir de l'enseignement de ce roman, une mise en oeuvre de sa méthode. Notre époque est ouverte sur des temps et des textes proches ou lointains, le pur contemporain n'existe pas. Mais il s'éclaire de ces déhiscences immenses qui font remonter sur nos rivages les tissages d'une poésie terrible.