Ne quitte pas les vivants
La menace de la guerre de 1967 en Syrie, où elle suit un homme qui deviendra son mari, renvoie Eléonore à une autre guerre, celle qui a fait d'elle, dès son premier souffle, une rescapée. Les lecteurs de Chantal Chawaf, et en particulier de Je suis née, reconnaîtront en l'héroïne la petite fille issue d'une mère tuée par un bombardement lors de la dernière guerre mondiale. Elle est élevée par des parents adoptifs, aimants et maladroits, qui lui mentent sur son identité. Elle se sent étrangère à eux et à la vie, murée dans un silence, un refus insurmontables : "Tu es une autre que toi, tu as d'autres parents que les tiens, tu n'as pas la vie qui t'as été donnée, tu as changé de mère. Et tu es vivante mais ce n'est pas ta vie. Tu apprends à faire tout ce que fait un enfant : tu manges, tu bois, tu parles en zozotant, tu pleures, tu marches, tu joues avec tes cubes et avec ton ours en peluche [...]. Tu as un visage cadavérique de petit fantôme." Cette même sensation, elle va l'éprouver plus tard auprès de son mari, Saadi. Viennent l'Orient et le désert, dans lequel elle se jette chaque jour pour de longues marches hallucinées aux confins du vide.