Oeuvres complètes
« Vvedenski - remarque Boris Lejeune dans sa préface - est peut-être le poète russe du XXe siècle qui a le mieux senti le dédoublement de la conscience de l'homme. Peu ont exprimé, avec une telle force, l'impuissance de l'intelligence humaine à comprendre le problème du temps, la raison de l'émiettement de la personnalité de l'homme moderne. »
Dans Le Cahier gris, Vvedenski écrit: « Malheur à nous qui pensons au temps. Mais ensuite avec la croissance de cette incompréhension, il deviendra clair pour toi et pour moi qu'il n'y a ni malheur, ni nous, ni pensons, ni temps. » Ailleurs, il poursuit : « J'ai porté atteinte aux notions, aux généralisations principales, ce que personne avant moi n'avait fait... Ainsi j'ai mené, en quelque sorte, une critique poétique de la raison. »
Aucune influence occidentale n'est décelable chez lui. Son œuvre est hantée par la thématique russe, à la frontière entre philosophie, théologie, littérature et poésie. Ses sources sont Dostoïevski, Gogol, Blok et, bien sûr, Pouchkine.
Né à Saint-Pétersbourg en 1904, mort en 1941, peu après son arrestation par le pouvoir soviétique, Alexandre Vvedenski est un immense poète. Dans ses premiers poèmes, qui datent de ses années de lycée, il subit l'influence d'Alexandre Blok. Il s'intéresse ensuite, au début des années vingt, au futurisme, puis se rapproche, vers 1925-1926, de la vieille génération des avant-gardistes de gauche (Malevitch, Tatline, Matiouchine, Filonov et le poète Toufanov). En 1927 il participe à la création du groupe littéraire OBERIOU (Union de l'art réel) qui organise, jusqu'en 1930, toute une série de manifestations au caractère provocateur. Présentés dans la presse comme des « brigands littéraires », Vvedenski et ses amis sont condamnés par l'Union des écrivains en 1931 pour leur « éloignement de la construction du socialisme ». Il est arrêté quelques semaines plus tard. À sa sortie de prison, il est privé du droit de résider à Leningrad. Il passe quelques années dans des villes de province puis revient dans la capitale du Nord où il vivra jusqu'en 1936. C'est là qu'il écrit des poèmes magnifiques comme L'Hôte à cheval, la pièce de théâtre Kouprianov et Natacha, et Invitation à me penser. En 1936, il se sépare de sa seconde femme, se remarie et s'installe à Kharkov. En pleine solitude, il gagne modestement sa vie en écrivant des contes pour enfants et il rédige, surtout la nuit, ses dernières œuvres : Suère, Élégie, Où quand. Considéré par le régime comme personne « douteuse » il est à nouveau arrêté le 27 septembre 1941. Il meurt peu de temps après, exécuté, aux dires de certains témoins, par ses convoyeurs dans une petite gare de campagne.