Mes années barbares
« Pendant des années, je n'ai pas osé aller chez un médecin pour ne pas montrer mon corps, mutilé de toutes parts.
Pendant des années, je n'ai pas osé aller chez le dentiste, parce qu'ouvrir la bouche et sentir des mains près de mon cou provoquait des crises de panique. Comme lorsque mon frère voulait m'immobiliser ; comme lorsque les violeurs de rue me faisaient taire.
Les quarante premières années de ma vie ont été des années barbares. Effroyables. Suffocantes.
Je veux réussir les quarante à venir. Pour mes enfants, et pour moi.
Dans ce livre, je raconte les viols de mon frère, l'aveuglement de mon père, ma fuite et ma déchéance, les quinze années sans toit au-dessus de ma tête. Et pendant ces années-là, de nouveaux viols - vingt, trente, à partir d'un certain nombre, je n'ai plus compté -, par des voyous de la rue aussi bien que des cadres en costume provenant des tours de bureaux de la Défense. Ils ont écrasé et volé mon enfance ; ma vie entière.
Je n'ai pas pu tout écrire, car certaines violences sont inaudibles. J'ai toujours perçu l'effroi dans les regards des psys et des gens qui ont voulu m'aider. C'était trop pour eux. Alors que dire pour moi ?
Aujourd'hui j'élève mes enfants, la maternité m'a en partie réparée ; je m'y consacre pour réinventer avec eux une vie paisible et riche d'amour.
Bon nombre de SDF ne sont pas dans la rue faute d'argent.
Ils y sont parce qu'on leur a fait du mal et qu'ils ne savent pas ce qu'est une vie normale. J'écris aussi pour eux. » Anne Lorient