Fausse route : Réflexions sur 30 années de féminisme
Pour les femmes, quels sont les progrès réels accomplis depuis quinze ans ? Le discours féministe qui se fait le plus entendre aujourd'hui reflète-t-il la préoccupation de la majorité d'entre elles ? Quels paradigmes féminin et masculin cherche-t-il à promouvoir ? Quel modèle de sexualité veut-il imposer ? « À en croire certains discours, il ne s'agit plus seulement de condamner les obsédés, les pervers. Le mal est bien plus profond et touche la moitié de l'humanité. C'est le principe même de virilité qui est mis en accusation. D'un côté Elle, impuissante et opprimée ; de l'autre Lui, violent, dominateur, exploiteur. Les voilà l'un et l'autre figés dans leur opposition. On prône ainsi un encadrement de plus en plus strict de la sexualité masculine qui atteint par ricochet celle des femmes. L'élargissement progressif de la notion de crime sexuel et la répression mise en place depuis quelques années dessine la carte d'un sexe légal, moral et sacralisé en opposition radicale avec la liberté sexuelle dont usent les nouvelles générations. En luttant aujourd'hui pour l'élargissement de la répression du crime sexuel à la prostitution et à la pornographie, le féminisme bien pensant n'hésite pas à faire alliance avec l'ordre moral le plus traditionnel. L'enjeu de la bataille est fondamental : il ne s'agit rien moins que de la redéfinition des rapports entre hommes et femmes, et de leurs libertés réciproques. Lutter contre la domination et les violences masculines est une nécessité ; mais vouloir aligner le masculin sur la féminité traditionnelle est une erreur, sinon une faute. L'Un est l'Autre, à condition que persistent l'Un et l'Autre. Parallèlement, la remise à l'honneur de la différence biologique entre hommes et femmes est-elle propice à l'émancipation de celles-ci ? À faire du biologique le critère distinctif des femmes, on justifie par avance la spécialisation des rôles que l'on s'est efforcée de combattre depuis plus de trente ans. On redonne ainsi vigueur aux vieux stéréotypes. Il est à craindre que les hommes aient tout à y gagner et les femmes beaucoup à y perdre. » E. B. D'amalgames en régressions, un bilan sans concession du discours féministe.