L'Amour en face

A la suite d'un pari, Denis Denan, acteur et séducteur irrésistible, fait la connaissance d'un couple remarquable par l'amour qui l'unit. L'enjeu de la rencontre est de séduire, posséder. puis abandonner Alex, la femme du peintre Chamirian, pour briser la béatitude de ces deux êtres si détestablement fusionnels et exclusifs.
Cinquante ans ont passé, au moment où il jette sur le papier cette "confession". Cinquante ans qui lui rendent plus distincts et plus contrastés - comme des images en noir et blanc les rushes de sa jeunesse altière et prétentieuse.
Fasciné par le cinéma hollywoodien des années 1940 et 1950, avec ses stars, ses corps de déesses que la lumière sculptait sur l'écran dans un érotisme exacerbé par les interdits, Denis Denan pose Alex en modèle et déploie toute l'inventivité dont il est capable pour approcher le corps irréel qu'il admire. Mais le narrateur se laisse prendre à son propre jeu. Il ne peut détacher son regard des deux êtres indissociables qui forment à ses yeux un chef-d'oeuvre parfait. A l'esthète se substitue peu à peu le voyeur; pris d'une frénésie incontrôlable, il épie le couple jusque dans ses ébats amoureux, sans jamais pouvoir l'approcher. Denis Denan a beau, en effet, multiplier les aventures avec les femmes qui gravitent autour d'Alex et Cham, les corps aimés et convoités disparaissent toujours devant la multiplication des images érotiques qui le hantent et l'enferment dans une relation spéculaire. Narcisse seul avec son propre reflet. Denis Denan s'impose alors comme la métaphore convaincante de ce que fut le cinéma hollywoodien de la grande période.

Par l'usage de procédés narratifs qui empruntent largement à l'écriture cinématographique - montage de séquences et succession de plans où seules comptent les images - et avec un amusement distancié, Serge Rezvani rend hommage à un cinéma qui a su mettre en abyme les splendeurs et les misères d'un monde marqué par les mensonges, les faux-semblants et les trahisons. C'est pourquoi, semble nous dire l'auteur, les clichés hollywoodiens en sont aussi la beauté.