Guerres froides
La nuit, l'hiver. Assise dans la neige, Louise Tulaine peine à surmonter l'horreur de ce qu'elle vient de vivre : en abattant une double cloison, son amant Victor a découvert une peau humaine entière, tannée. Celui qui a accompli l'acte d'autant plus ignoble que méticuleux du tannage ne peut être qu'un Tulaine, tanneurs de père en fils depuis le XVIIe siècle. Celui qui a subi cet outrage est peut-être un jeune médecin venu s'installer trente ans plus tôt dans le village aujourd'hui ruiné avant de disparaître sans laisser de trace. L'assassin sadique serait ainsi le grand-père de Louise, dit le Vieux, tyran domestique et patriarche de la région. Et la victime le propre père de Victor. Mais on n'en aura jamais la preuve puisque Louise, dans un réflexe de clan plus ancien que ses nerfs, a arraché cette peau au mur où elle était épinglée... Accablée par cet instinct qui l'a poussée à faire disparaître une preuve gênante pour un clan qu'elle a pourtant toujours voulu trahir, Louise, hantée par les voix des siens, attend le retour de Victor. Tonitruantes ou insidieuses, lyriques ou triviales, libres ou dans les murs, mâles ou femelles, ces voix qui, dans leur ressac, célèbrent tour à tour les valeurs archaïques ou la révolution en marche, l'utopie communiste ou le chaos cosmique, sont le chant de l'histoire - de l'Histoire. Et ni l'une ni l'autre ne lâche si facilement ses proies. Roman de l'enfermement, de la douleur si humaine d'être au monde, Guerres froides est construit comme un opéra qui met en scène une humanité fatalement enfermée dans une époque, aveuglée par des dogmes dérisoires, tenue en laisse par ses ancêtres.