Un homme bien sous tous rapports
Depuis sa plus tendre enfance, Bian Rongda a appris à obéir et à maîtriser ses émotions, mais nul ne lui a jamais dit comment prendre en mains son destin.
C'est, en tout cas, ce qu'il découvre, à quarante et un ans, soudain victime du chômage après une irréprochable carrière menée dans la plus stricte observance des principes de l'idéologie maoïste dont il est imprégné. Incapable de répondre aux injonctions inédites de la société de consommation dont la Chine enregistre les premiers effets, Bian Rongda revient sur sa vie passée, tout entière prise en otage - sur le plan familial, conjugal et professionnel - par une "condition masculine" formatée pour barrer l'accès à toute forme de revendication d'ordre individuel.
Honteux d'avoir eu pour père un paysan qui l'a tyrannisé, victime d'un mariage fondé sur un quiproquo et précipité par une grossesse non désirée, écrasé par la réussite professionnelle de sa femme, désarmé face aux enjeux de pouvoir qui régissent son unité de travail, Bian Rongda ne peut que compter sur la nouvelle vie qui, peut-être, s'annonce avec la perspective d'un nouvel emploi, au Tibet...
En choisissant d'affronter un sujet délicat et inattendu, celui de la misère masculine, Chi Li n'abandonne rien de son irrévérence coutumière ; mais si l'acuité de l'observation et la hardiesse dans l'évocation des détails les plus intimes de la vie quotidienne sont toujours au rendez-vous de l'écriture, ce roman est avant tout l'émouvant portrait de tout homme blessé.