J'apprends l'hébreu
Frédéric a passé son enfance au gré des mutations professionnelles de son père. Après la France, la Norvège et l’Allemagne, fragilisé psychologiquement par ces déracinements incessants, l’adolescent s’est effacé au point de ne plus entendre sa langue maternelle.
A dix-sept ans, il ne comprend plus son entourage, ne perçoit plus l’enchaînement des mots, a perdu le sens de la phrase et finalement, ne saisit plus les mots que séparément. Habité par des voix intérieures, en proie à de sérieux problèmes identitaires, c’est en Israël que ce jeune homme doit aujourd’hui suivre sa famille et cette destination inconnue l’angoisse terriblement.
Pourtant, dès son arrivée à Tel-Aviv, Israël s’impose à lui telle une promesse. Frédéric découvre que l’hébreu est totalement illisible non seulement pour lui, mais pour tous les nouveaux arrivants ; que cette langue se lit et s’écrit dans l’autre sens et qu’il ne peut donc être question ici d’une simple initiation accompagnée d’une totale immersion géographique, mais bien d’une expérience semblable à celle des tout premiers apprentissages de l’enfance, celle de tous les commencements.
Pour Frédéric, l’hébreu pourrait donc augurer d’un véritable recommencement. Soudain rassuré, il a l’intuition que ce pays est fait pour lui, que ce territoire est le sien car cette langue qui marche à l’envers lui convient. Une langue qui, pour se livrer, impose au lecteur une véritable reconstruction de la pensée, devrait lui permettre de reprendre le contrôle de son univers mental malmené par tant d’instabilités passées. Ainsi Frédéric va-t-il tenter de renaître dans cet autre alphabet, cette langue où le verbe être n’existe pas au présent. Désormais se dit-il, je ne suis pas, j’étais et je serai. Au présent je me contenterai de devenir. Considérant plus que jamais le territoire comme le fondement de toute identité, ce pays choisi par tant d’individualités et d’histoires conjuguées prend à ses yeux une importance extraordinaire.
Fasciné par cette nation construite, Frédéric se lance dans la lecture des romans de Théodore Herzl, passe de longs moments avec ses voisins : la sage Madame Lev arrivée de Berlin en 1945 et le couple Masri venu d’Egypte puis, conforté par leurs histoires, leurs confidences et leur confiance – un dictaphone en main pour mieux réécouter les propos de chacun, il part à la rencontre des habitants de Tel-Aviv. A tous il pose une question : la question du territoire pour lui demeurée trop longtemps sans réponse.
D’une façon extrêmement subtile, ce roman analyse le désir de renaissance de cet adolescent dans un pays lui aussi en conflit intérieur, un pays dont le rapport au territoire et à l’Histoire est en perpétuelle effervescence, un pays de certitudes, de contradictions et d’espérances mêlées, une nation fascinante pour Frédéric puisqu’en écho à sa propre schizophrénie.