Istanbul, 1950-2000
1950-2000 : cinquante années du destin de la " Ville des Villes ", fragments de l'étonnante pérennité de cette cité aux trois noms, sise sur la fracture du Bosphore, et habitée par un éternel mouvement de balancier entre Orient et Occident. En ouverture, Jean-Claude Guillebaud, rappelant les cycles de l'histoire qui modelèrent Istanbul, met en évidence sa démesure et la fascination qu'elle exerça, et exerce encore, sur tous ceux qui la découvrent. Pour donner à voir l'unité et la continuité d'Istanbul dans le temps, Marc Riboud choisit - apparent paradoxe - le mode de la brisure et nous offre une mosaïque composée d'instantanés, de moments éphémères et anodins, d'où surgissent les étapes d'un voyage de mémoire dans les rues et les ruelles. Il naît de cette rencontre entre un lieu et un homme une image sensible et changeante, traversée de tremblements, tout aussi fidèle à la réalité de la ville qu'à la sensibilité de l'artiste ; image non pas glacée, esthétique, " éternelle " mais image essentielle d'Istanbul, " toujours prête à tenter le destin de l'autre côté du Bosphore, à accueillir le foisonnement du monde et à le faire sien ". Ce que montrent les photos de Marc Riboud, c'est l'extraordinaire capacité de cette ville protéiforme à s'adapter aux évolutions et aux révolutions, à la diversité des hommes, à vivre du changement et de l'apparente contradiction, à l'image de cet étonnant cliché où trois femmes voilées de noir défilent avec assurance, fierté et envie devant un couple enlacé, partagé entre l'ostentation et la gêne. Le livre ne fait pas du temps qui passe un ferment de destruction, bien au contraire. Si Istanbul est ainsi installée dans la durée sans être seulement une " ville chargée d'histoire " c'est parce qu'elle réunit la mémoire du passé et les séductions du présent dans une osmose parfaite, perceptible dans cette photographie qui met en regard, de part et d'autre d'une affiche publicitaire, les visages d'un vieil homme et d'une jeune fille. Le temps semble s'annuler dans le regard de l'homme, indissociable de celui de l'artiste. Livre de mémoire et de mouvements, livre de regards croisés. Celui des habitants d'Istanbul sur le photographe - regards discrets, parfois envieux, parfois coquets de femmes derrière leur voile ; celui, mystérieux, de l'objectif lui-même qui fait surgir d'une scène banale dans un café, dans la rue, ou du grouillement illisible d'Istanbul l'association inattendue de l'ancien et du moderne, de l'Orient et de l'Occident, le génie unique du lieu.