La Porte de l'eau
La Porte de l'eau est une nouvelle version retravaillée du deuxième roman de Rosetta Loy, publié en 1976 en Italie et inédit en France. Roman de formation, semi-autobiographique et semi-fictif, ce texte est, selon elle, le plus cher à son coeur. Elle lui redonne aujourd'hui sa chance. On y trouve déjà les thèmes qui hanteront son oeuvre : l'enfance innocente et capricieuse confrontée au monde des adultes et à l'Histoire, celle de la Seconde Guerre mondiale ou de ses prémices. L'héroïne est une toute petite fille, mélange de Rosetta Loy et d'un personnage inventé, qui vit à Rome durant la seconde moitié des années trente. Rosetta Loy s'est aussi inspirée de ce roman pour écrire, des années plus tard, Madame Della Seta aussi est juive (Rivages/Poche No318) : on retrouve l'appartement romain de la via Flaminia, dont les voisins ne sont autres que les Della Seta. L'histoire, racontée par l'enfant, est celle de son amour passionné et têtu pour sa gouvernante Anne-Marie, une jeune fille allemande. Une mère distante et sans tendresse, un père absent, une éducation stricte sous la houlette de religieuses parfois cruelles poussent l'enfant - dont la solitude est immense et terrifiante - vers la seule personne présente dans sa vie, la seule à s'occuper d'elle, sa gouvernante. Mais cet amour inconditionnel et absolu n'est pas réciproque, Anne-Marie est payée pour s'occuper de l'enfant et n'éprouve à son égard qu'indifférence, parfois agacement. De plus, Anne-Marie est allemande, ultra-catholique et antisémite, et toute son attitude, tout ce qu'elle enseigne à l'enfant sont imprégnés de cet antisémitisme. Ainsi, en toile de fond se dessine l'Histoire, celle de ces familles juives qui, à cette époque, vivaient encore dans l'insouciance, ignorantes du drame à venir, du danger tout proche, incarné dans ce roman par une simple jeune fille. L'enfant observe avec envie ses voisins, une famille juive qui, contrairement à la sienne, semble chaleureuse et unie. Anne-Marie n'aura de cesse de la tenir à l'écart de ces gens dont elle lui explique qu'ils sont "différents". Pour l'occuper, elle lui lit des comptines, et on ne peut s'empêcher de trouver étrangement prémonitoire l'histoire de Paulinchen, cette comptine qui fait hurler de terreur l'héroïne, où une autre petite fille innocente est brûlée vive et réduite en cendres. Ce livre est un véritable chef-d'oeuvre de subtilité, autant dans l'art du récit que dans le style. L'écriture est à la fois poétique et extrêmement précise, ciselée, travaillée comme une pièce de dentelle. Jamais encore Rosetta Loy n'a poussé aussi loin la recherche stylistique, aboutissant à une écriture d'une finesse et d'une beauté époustouflantes.