La Fille de Carnegie
Robert Tourneur est lieutenant à la brigade des Homicides du secteur Nord de Manhattan. Il cherche tous les prétextes pour ne pas chez lui, où l'attend son épouse Naomi, avec une Bible et une kyrielle de reproches. Faute de mieux, il boit et fait des heures supplémentaires.
Cette nuit-là, il aura une bonne raison de ne pas rentrer ; depuis 22h16, la confusion règne au Metropolitan Opera. Un homme d'une quarantaine d'années, au teint foncé et aux cheveux très noirs, est tombé d'une loge en pleine représentation de La Flûte enchantée. Sur sa poitrine, trois trous équidistants laissés par des balles de 9 mm. Nul ne sait ce qu'il faisait dans cette loge, réservée à Sondra Carnegie, héritière des Carnegie, l'une des critiques d'opéra les plus réputées de New York.
Sondra semble s'être volatilisée ; en revanche, on retrouve un Sig-Sauer 9mm dans la loge, et on appréhende un homme vêtu d'un T-shirt taché, qui semblait en sortir. Le suspect s'appelle Michael Clyde Lagana, il travaille pour une société de sécurité privée et, quand il arrive devant le lieutenant Tourneur pour être interrogé, ce dernier le reconnaît : c'est un ancien collègue qu'il a mille et une raisons de ne pas porter dans son coeur.
Commence alors une longue nuit de garde à vue qui tourne à l'affrontement personnel, une double confession qui plonge les deux hommes au centre d'une trouble histoire d'amour, de rêves, de fantasmes et de jalousie. Et par-dessus tout, de manipulation.
Stéphane Michaka réussit le pari osé de situer son premier roman à New York avec une étonnante crédibilité, sans tomber dans les clichés et artifices couramment utilisés par des auteurs en mal d'exotisme. Il est pétri de la culture des romans et des films noirs et nous en restitue la magie, sans jamais s'aventurer dans le pastiche. Bien au contraire, La fille de Carnegie est un livre très personnel, qui allie un style narratif d'une grande élégance, lyrique et sensuel, souvent cinématographique, à des dialogues incisifs, au langage brutal. La confrontation d'une syntaxe sophistiquée et d'un lexique parfois cru crée un effet trouble, irréel qui a le pouvoir inquiétant du cauchemar.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit pour les acteurs de ce drame : le flic et l'ex-flic, l'adjointe du district attorney, l'insaisissable Sondra Carnegie et, au milieu d'eux, Ravieras, ce mort improbable au destin absurde. Bâti autour des thèmes éternels de l'univers noir, La fille de Carnegie est un roman profondément original, moderne, qui traite de la manipulation exercée par les puissants, de la vérité et du mensonge, et de la détresse des êtres perdus dans la solitude de la mégalopole.