Un avant-poste du progrès
D’un voyage au Congo belge qui l’a bouleversé, Joseph Conrad a tiré le célèbre Cœur des ténèbres, et cet Avant-poste du progrès, qui n’est pas une version préparatoire de l’autre, mais son reflet inversé, encore plus étrange et plus trouble à certains égards. C’est une peinture terrible de l’entreprise coloniale et de son échec. C’est également le portrait inquiétant d’une humanité en grand désarroi dès qu’elle est transplantée loin de ses bases familières. Le lecteur ne trouve aucun manichéisme auquel se raccrocher : hommes blancs et noirs suscitent tout autant l’inquiétude et la pitié. Sombre et ironique, le style de Conrad rappelle celui de Flaubert et de Maupassant, auxquels il fait ici de nets clins d’œil. Dans cette nouvelle, on peut ainsi observer, comme sur le vif, la naissance d’un immense écrivain européen – Polonais écrivant en anglais dans l’inspiration d’écrivains français – pour qui la littérature devait traiter du monde entier.