Le Tragique et la Pitié
Le 15 Décembre 2005, eut lieu, sous la Coupole, la réunion solennelle au cours de laquelle René Girard fit son entrée à l'Académie française. Le nouvel élu y prononça l'éloge de son prédécesseur, le Révérend Père Carré, dominicain, que rendirent célèbre ses sermons de Carème à Notre-Dame de Paris. René Girard retraça l'itinéraire austère et désertique d'un homme, entré jeune en religion, à la suite et en raison d'expériences mystiques, et qui, pendant toute sa vie vouée, ne put jamais les reprendre. Cette émouvante biographie permit à l'orateur de quitter un moment sa spécialité d'anthropologie critique des religions et d'entrer dans l'aventure vivante du christianisme contemporain. Michel Serres répondit à ce discours par un tableau de la vie et de l'oeuvre du récipiendaire dont, dit-il, la théorie compte parmi les plus fécondes du XXème siècle. Pourquoi ? Parce qu'elle part de la violence tragique, du meurtre sacrificiel et du lynchage. Quoi de plus extraordinaire, mais quoi de plus vrai, que de fonder la reconstruction du religieux sur ce qui paraît le plus opposé à la pitié ou à la piété ? Cette cérémonie fera donc sans doute date en histoire des religions. Mais son originalité consista aussi bien en ce que les deux académiciens qui y parlèrent, vivent et enseignent tous deux, le nouveau en totalité, l'ancien en partie, aux Etats-Unis d'Amérique. A un moment où des tensions entre les deux pays apparurent, un tel événement intervint avec bonheur.