Darwin, bonaparte et le Samaritain - Une philosophie de l'histoire
« Darwin raconta l'aventure de flore et de faune ; devenu empereur, Bonaparte, parmi les cadavres sur le champ de bataille, prononça, dit-on, ces mots : « Une nuit de Paris réparera cela». Quant au Samaritain, il ne cesse, depuis deux mille ans, de se pencher sur la détresse du blessé. Voilà trois personnages qui scandent sous mes yeux trois âges de l'histoire.
Le premier, long, compte des milliards d'années. Réussissant à dater les événements dont elles s'occupent, les sciences contemporaines racontent le Grand Récit de l'univers, de la planète et des vivants, récit qui déploie nos conditions d'habitat et de nourriture, sans lesquels nous ne vivrions ni ne survivrions.
Pendant des milliers d'années, le deuxième, dur, répète cette guerre perpétuelle dont un chiffre bien documenté dit qu'elle occupa 90% de notre temps et de nos habiletés.
Quant au dernier, doux, il glorifie, depuis quelques décennies seulement, l'infirmière, le médecin, la biologiste dont les découvertes et les conduites redressèrent à la verticale la croissance de notre espérance de vie ; puis le négociateur, qui cherche la paix ; enfin l'informaticien qui fluidifie les relations humaines.
Histoire ou Utopie ? Il n'y a pas de philosophie de l'histoire sans un projet, réaliste et utopique. Réaliste : contre toute attente, les statistiques montrent que la majorité des humains pratiquent l'entraide plutôt que la concurrence. Utopique : puisque la paix devint notre souci, ainsi que la vie, tentons de les partager avec le plus grand nombre ; voilà un projet aussi réaliste et difficile qu'utopique, possible et enthousiasmant.» Michel Serres.