Fortune
" Vous avez compris" ?
" Elle le regarda en silence.
" "Que je vous aime", acheva-t-il.
" Elle hocha très légèrement la tête.
" "Vous ne me croyez pas ? lui demanda-t-il dans un murmure irrité.
" -Personne ne peut m'aimer, répondit-elle très calmement. Personne."
" Il resta coi un moment, complètement abasourdi, ce qui n'est pas surprenant. Il doutait d'avoir bien entendu. Il était outragé.
" "Quoi, que dites-vous ? Personne ne peut vous aimer ? Qu'en savez-vous ? C'est mon affaire, non ? Et vous osez dire une chose pareille à un homme qui vient de vous confesser son amour !
Il faut que vous soyez folle !
" -Presque", dit-elle avec un accent de sincérité contenue, soulagée de pouvoir dire une chose qu'elle sentait être vraie, car depuis quelques jours, elle avait plusieurs fois eu l'impression d'être aux confins de cette sorte de folie qui n'est que l'intolérable lucidité de l'angoisse du lendemain. "
Paru en 1913, Fortune est de ces romans qui jettent un regard perçant et sans complaisance sur la nature humaine et ses passions illusoires, sur l'ambition héroïque qui conduit à la mort, sur
la vanité des échappatoires face au destin. C'est surtout l'histoire d'une femme autour de laquelle ce même regard s'enroule, s'accroche, se suspend. Mais plus cette femme est proche et plus on croit la tenir, plus son être se dérobe et on reste là, conquis, épris, envoûté... amoureux.