De la philosophie considérée comme un sport
Au métaphysicien dont la condition se réduit, selon Carnap, à celle d’un « musicien sans talent musical », Valéry aimerait voir substituer le philosophe dans le rôle, ouvertement assumé, du sportif de l’esprit entraîné et aguerri. Un sport d’une certaine sorte, qui exige un entraînement constant et intensif de l’« animal intellectuel », qu’il faut accepter de comparer aujourd’hui à la philosophie elle-même si on veut pouvoir lui trouver un avenir. On peut toutefois se demander si ce à quoi Valéry souhaitait finalement le plus voir la philosophie s’efforcer de ressembler était plutôt un art ou un sport. Il faut probablement songer ici à un exercice qui, comme c’est le cas par exemple de la danse et de la nage, puisse être les deux en même temps : « Philosophie “sportive” sans illusion – le nageur, le danseur, qui ne vont nulle part. » Mais il y a une différence importante entre celui qui cherche dans la philosophie quelque chose comme un plaisir ou une émotion de nature esthétique, qui peuvent être éprouvés de façon plus ou moins passive, et celui qui pratique la philosophie de façon essentiellement active comme un exercice relevant d’une sorte de « sport de l’esprit » et dont, même s’il ne mène nulle part en particulier, on peut sortir mieux équipé, mieux préparé et fortifié du point de vue intellectuel. En invoquant la poésie philosophique de l'anti-philosophe Paul Valéry, Jacques Bouveresse questionne la survie d'un domaine qui prétend compenser son « désintérêt presque complet pour la question de la vérification par la tendance à croire qu’en ignorant la vérification on peut même ouvrir à la connaissance des possibilités à peu près illimitées ».