Le crépuscule de Prométhée : Contribution à une histoire de la démesure humaine
L'homme occidental, dans sa soif de maîtriser son devenir individuel et son emprise sur la nature, s'est fait à l'image d'un mythe de la Grèce ancienne : celui de Prométhée, le demi-dieu qui osa ravir le feu de Zeus pour le donner aux hommes. À la Renaissance, cette figure réinterprétée comme l'homme révolté, cherchant à s'émanciper par la volonté de domination et par la connaissance, a formé l'image à laquelle les élites occidentales ont cherché à se mesurer. Jules Verne, mieux qu'aucun romancier, a su donner vie à des héros parfaitement prométhéens qui ont été admirés par des générations d'enfants et d'adultes. Plus d'un demi-siècle plus tard, aux États-Unis, la romancière Ayn Rand a réinventé ce type de héros en milieu capitaliste. Dans cet impensé culturel dont nous, Occidentaux modernes, sommes porteurs, les idées et les images qui se sont cristallisées autour du personnage de Prométhée occupent une place de choix. Or, le « prométhéisme » ne se réduit pas à ses manifestations les plus évidentes : la frénésie technique et capitaliste, mais il s'enracine également dans des valeurs dont nous sommes le plus fiers : l'idéal de liberté et de progrès, le mouvement d'émancipation de l'individu, la modernité qu'il nous paraît légitime de proposer ou d'imposer aux autres cultures.
L'ère prométhéenne - c'est-à-dire à proprement parler occidentale - a été et est encore celle de la démesure humaine, enveloppée dans une forme présentée comme étant la rationalité ; celle-ci a conduit à la menace de la catastrophe humaine et écologique. Il importe aujourd'hui de penser l'individu et la vie sociale dans un cadre qui échappe au « prométhéisme » et qui s'inspire de l'appréhension écologique de la nature. On peut penser autrement ce que nous sommes, en mettant en évidence des formes d'interdépendance très présentes dans la vie quotidienne, mais déniées par l'idéal d'émancipation et la conception de l'individu devenus hégémoniques dans le monde occidental.