Corbière le crevant
L’auteur écrit la vie de Tristan Corbière en en faisant un vrai personnage de roman. Investissant cette figure mystérieuse de la littérature française ayant multiplié mystifications et masques, il mène une enquête passionnante sur ce personnage attachant, à la fois très sérieuse (les fondations scientifiques de l’affaire sont précises) et dérivant vers une amplification romanesque. Dans la lignée de Rimbaud le fils, de Pierre Michon, Emmanuel Tugny réinvente son Tristan Corbière, fusionnant avec le personnage pour mieux s’interroger sur l’aventure de l’écriture et mettre à distance le pathos, non sans émotion.
Ponctuellement, apparaissent des extrais de textes du célèbre auteur, comme autant de refrains, de pauses pour mieux sauter dans le récit. On suit avec passion la vie tragique d’un fils qui écrit après son père, inventant de nouvelles formes littéraires pour dire son ironie et son désespoir joyeux. Le roman traite dont de la question de la descendance et de l’héritage esthétique fourni par ses parents. Un fils d’écrivain peut-il écrire ? En ce cas, qu’écrit-il ? Et en définitive : qu’est-ce qui pousse à écrire ?
Ce roman est aussi une fable : à travers l’exemple de Tristan, c’est l’idée renaissante d’une existence théâtre, costume, farce, l’idée de la comédie du monde qui est traitée ici. La vie humaine est un déguisement précaire emprunté par la matière puis rendu. L’homme est matière temporairement grimée en homme et dansant sur des tréteaux fragiles.
Corbière le crevant invente une langue jubilatoire qui outrepasse les niveaux de langue. L’auteur connaît bien ses classiques mais aussi le langage de la rue. L’invention verbale est vertigineuse. Une langue à la fois précieuse et populaire, une langue qui travaille à la verticale dans une espèce de varappe savante et gouailleuse.