Tu verras
Nicolas Fargues raconte que, sur le périphérique, un dimanche, ses deux fils étaient assis à l’arrière de la voiture et une station de radio a passé Don’t Matter, d’Akon, une chanson qu’il n’avait jamais entendue jusque-là. Comme elle ne lui plaisait pas, il a voulu changer de fréquence. Mais son fils aîné, qui connaissait les paroles par cœur, l’a supplié de lui laisser l’écouter jusqu’au bout.
Dans les semaines et les mois qui ont suivi, Nicolas Fargues a entendu le morceau à plusieurs reprises sans pour autant l’apprécier davantage. Mais puisque désormais il était immanquablement associé à l’image de son garçon, il l’a lui aussi, chaque fois, écouté jusqu’au bout.
Un matin, son fils a quitté l’appartement pour l’école comme chaque jour, en lui faisant un signe de la main puis en se retournant, avec son énorme cartable sur le dos et son jean baissé jusqu’à mi-fesses. Attendri, Nicolas Fargues a eu cette pensée étrange et en même temps irrépressible que si son fils venait à mourir brutalement au cours de la journée, il ne pourrait plus jamais écouter cette chanson d’Akon qui ne l’émouvait pourtant pas plus que cela.
C’est d’imaginer tout ce qu’il pourrait ressentir qui a été le point de départ de ce roman non autobiographique qui, sur un ton proche de son roman J’étais derrière toi (2006), adopte cette fois le motif de l’enfance pour parler d’amour et de solitude. Dur, car il se situe dans les jours et les semaines qui suivent la mort accidentelle d’un enfant, un pré-ado, on y voit et on y écoute son père revivre non seulement les circonstances du drame mais aussi leur vie quotidienne et tout ce qui commençait à les opposer l’un à l’autre, tous les conflits commençant qui dressent les fils contre les pères et d’autant plus lourdement quand il s’agit d’un père « séparé ».
On retrouve dans ce roman toute la finesse d’analyse de Nicolas Fargues, son talent d’observateur des comportements, des codes et des modes. Un roman qui nous emmène jusqu’en Afrique, où il va trouver sa conclusion suspendue, un roman qui est aussi un hommage intense à l’enfance.