Les jours et les jours
Les jours et les jours, c'est un journal intime entièrement fictif, mais au plus près des peurs, des obsessions et des admirations de son auteur (qui y rencontre qui il veut, Héraclite ou Proust, McEnroe ou Lucie Aubrac, et y fait ce qu'il veut, par exemple piéger Karl Lagerfeld ou balancer des déjections sur quelques fâcheux). C'est un hommage aux puissances d'invention de la littérature (seule à permettre de se réveiller un jour en 1942, le lendemain en 2042.) mais aussi une façon fantasque d'inverser le principe même de l'autofiction : là où elle prétend que tout est vrai mais que ce n'est pas moi (l'auteur) qui l'ai vécu, j'affirme que j'ai vécu tout cela mais que rien n'y est vrai, ou alors, tout simplement, que les images qui nous viennent sont plus vraies que les choses qui nous arrivent. C'est aussi un exercice d'écriture sur le rapport entre le fragment (puisqu'il y a pour chaque jour de ce journal quelques lignes ou quelques pages), la répétition (l'écho de quelques motifs récurrents) et l'événement (puisque chaque jour est absolument singulier), exercice d'articulation de tout ça quelque part entre la poésie du rien répété et la prose du grand événement rêvé, ou l'inverse (en tout cas le croisement de ces deux voies de la littérature moderne). C'est enfin une démonstration par l'absurde, mais aussi par l'émotion de ce qui arrive à ce diariste faussement détaché, qu'il faut bien vivre, et qu'aucun décret de détachement, aucune décision de grand retrait ne sauraient nous y faire échapper, puisque l'auteur se présente ici comme quelqu'un qui s'est détaché, pour ne plus souffrir du manque ou du regret, de la perte ou de la frustration, mais qui manifestement n'y arrive pas, son imagination ou ses nostalgies le faisant remonter à la surface, le renvoyant à cette vie à laquelle il a eu la naïveté de croire qu'il pourrait dire « non merci ».