Z comme zombie
« La plupart des zombies aiment leurs proches autant que nous. Une femme zombie, que je ne connaissais pas plus que ça, est venue exprès de Russie pour s'occuper de ma mère gravement malade, avec abnégation et sourire. J'en ai fait l'expérience : on peut prendre le thé avec un zombie et rire ensemble aux souvenirs d'une vieille comédie romantique. Mais dites un mot contre la guerre en Ukraine, osez une moue sur Poutine, le zombie se fige, comme dans les films de Romero, gueule ouverte, mâchoire crispée. Il n'y a plus d'amitié qui tienne, plus de famille. Vous pensez que j'exagère ? Katia, seize ans, coincée à Marioupol à côté du cadavre de sa mère morte de froid et de malnutrition, appelle son oncle resté en Russie.
Réponse embarrassée de l'oncle-zombie : ''Mais qui êtes-vous ? Arrêtez de m'appeler. Je ne vous connais pas.'' Un soldat russe fait prisonnier contacte sa famille pour raconter, en pleurant, qu'il n'a pas trouvé de nazis en cette Ukraine qu'il est venu ''dénazifier''. Réponse de sa mère-zombie : ''Arrête, Sergueï, je vois bien que les nazis t'ont reformaté.'' Arkadi montre à son père des photos d'immeubles détruits à Kharkov par les bombardements russes. Réponse : ''Ce sont les Ukrainiens eux-mêmes qui se bombardent à la roquette. ».
Iegor Gran, est né en 1964 à Moscou. Fils de l'écrivain russe, dissident soviétique, Andreï Siniavski (voir Les Services compétents, P.O.L, 2020), il est arrivé en France à l'âge de dix ans. Bouleversé par la guerre en Ukraine et la propagande russe, il décide d'écrire un texte très informé, à mi-chemin entre le pamphlet et le gonzo-journalisme. Il s'intéresse à « ce Z peinturluré en blanc dégeu sur les chars russes en Ukraine qui a gangréné le cerveau d'une majorité de Russes. » Z comme Zombie ! « Début avril, en Russie, on s'alignait en Z, on collait des Z sur les voitures ». Z comme Zombie, écrit Gran, « pour que se dissipent enfin les fantasmes autour de la fameuse ''âme slave'' dont le romantisme a nourri tant de complaisance à l'égard du totalitarisme russe, ce péché mignon d'un pays qui s'entête depuis un siècle à vivre dans une fiction parallèle. ».