Vie de Samuel Johnson
Poète, lexicographe, critique et moraliste, le Dr Samuel Johnson trouva en James Boswell un biographe idéal. Le livre que ce dernier tira de leurs entretiens est un chef-d'œuvre que Macaulay considérait comme la meilleure biographie jamais écrite, et Carlyle comme un ouvrage " au-delà de tout autre produit du XVIIIe siècle ". Voici donc enfin la traduction française intégrale d'un des monuments de la littérature et de la culture anglaises.
" Sa figure a frappé de stupeur ses contemporains. Ses traits ont été fixés par le peintre Reynolds, qui était de ses amis et de ses commensaux, en une image parlante : la carrure large, le cou enfoncé entre les épaules, un front étroit, plissé, des lèvres épaisses, une lourde tête offusquée d'une vaste perruque de guingois, un grand tricorne clabaud toujours sur les yeux, un habit de grosse toile noire, dont il coulait la pièce à fond, et boutonné tout au long, le visage vérolé et mélancolique. On eût dit, à vingt ans déjà, qu'il entendait tomber ses dernières années comme les gouttes d'une pluie d'hiver sur le pavé. L'irritabilité de son caractère était telle que non content de se ronger les ongles jusqu'au sang, il se raclait en plus les phalanges avec un canif. Il frappait encore par une trépidation perpétuelle et une singulière gesticulation. Voilà pour l'extérieur. A l'intérieur, un volcan. Pour le monde, un dictateur des lettres. Boswell vint à Londres vers 1760, tiraillé entre la volonté de son père, qui voulait lui faire faire son droit, et sa vocation personnelle, qui était de rencontrer des hommes célèbres et de fréquenter des actrices et des dames de petite vertu. Il concilia ses devoirs filiaux et ses inclinations le jour où, dans l'arrière-boutique d'un libraire de Great Russel Street, il fit la connaissance du fameux docteur Johnson, sans se douter que la biographie minutieuse, luxuriante et diffuse qu'il lui consacrerait, lui assurerait, dans le rayonnement d'un astre, l'immortalité d'un satellite. "
(Gérard Joulié)