Vincennes
Cet ouvrage relate l'expérience vécue à l'université de Vincennes, au lendemain de Mai 68. En esquissant le portrait de cette faculté ouverte à tous, des sans-papiers aux philosophes, Bruno Tessarech tente de comprendre ce qui reste d'elle.
Au lendemain de Mai 68, l’université française devrait être devenue un champ d’expérimentation, un terrain de jeu révolutionnaire, un laboratoire de la pensée. Mais les campus bétonnés, édifiés à la va-vite, à la merci des pesanteurs administratives, ne ressemblent toujours pas à leurs luxueux modèles américains. Entre la prestigieuse forteresse de la Sorbonne, guindée dans ses vieux habits, et ces " modernes " conglomérats de contreplaqué relégués dans les banlieues des grandes villes, où va-t-on accueillir le flux des baby boomers qui rêvent encore du Grand Soir ? Aussi intense et fugace que l’instant janséniste sous Louis XIV, la fronde de Vincennes a vu défiler, dans un joyeux désordre, les derniers grands intellectuels d’une époque qui touche à sa fin : Deleuze, Lyotard ou Levi-Strauss ont joué le jeu de cette étrange faculté ouverte à tous, étudiants et ouvriers, bacheliers ratés et cancres dilettantes. Formé à la philosophie et aux lettres dans le moule institutionnel, l’auteur nous raconte comment il choisit néanmoins, en 1970, d’aller traîner ses baskets dans l’étrange foutoir de Vincennes. De cette expérience qui l’a marqué à jamais, il fait maintenant le bilan et s’adresse à sa vieille camarade, non pour l’accuser de ne pas avoir tenu ses promesses, mais pour comprendre ce qui reste d’elle, en lui et autour de nous. C’est donc à une visite dans le coeur palpitant d’un monde où tout était permis que nous invite l’auteur. Dans la parenthèse qu’aura été Vincennes - bien vite rasée par le pouvoir en place -, les philosophes se crêpaient le chignon sur l’estrade, les hiérarchies s’inversaient, la raison du plus fort était celle de la paresse, et sans-papiers ou exilés de tout poil trouvaient refuge là où l’interdiction d’interdire servait de passe-partout.
Bien sûr, au-travers de ce portrait vif et tapageur, la morne résignation de notre temps n’en est que plus frappante, mais cette lettre sans regrets ni amertume transmet tant d’énergie qu’il faut bien en convenir : le cadavre bouge encore !