Monsieur le commandant
Écrivain et académicien, Jean-Paul Husson a amplement contribué à faire briller les lettres françaises dans le Paris de l’avant-guerre. Il s’est désormais retiré dans la petite ville que nous nommerons Andigny, en haute Normandie, pour se consacrer à son oeuvre, habitée par un catholicisme fervent, qui s’accompagne de plus de plus d’un antisémitisme " patriotique ". Malgré les nombreuses infidélités qui l’ont attiré dans le lit de coquettes parisiennes au cours de son ascension littéraire, Jean-Paul Husson est un bon père de famille et un époux attentif, jusqu’au jour où son fils, Olivier, avec lequel il entretient peu d’affinités, lui présente sa jeune épouse, Ilse, une actrice allemande aux traits aryens et à la blondeur lumineuse. Les calmes dimanches à la campagne tournent au drame quand Jeanne, sa fille chérie, périt noyée. Suivent la dépression et la mort de son épouse, Marguerite. Puis, la guerre éclate et Olivier est appelé : après la débâcle et l’exode, Jean-Paul Husson accueille Ilse et sa petite-fille chez lui, à Andigny. La beauté d’Ilse exerce sur lui une fascination qui devint malédiction dans ce rapprochement contraint. Car Jean-Paul Husson le sait : Ilse est juive. Elle est aussi responsable de la mort accidentelle de Jeanne, ce qu’il ne parvient pourtant à lui reprocher tant domine en lui l’éblouissement. Un éblouissement en contradiction totale avec toutes ses valeurs, et qu’elle ne saura jamais comprendre, puisqu’elle n’est pas catholique. Pire : elle finit par salir leur seule et unique nuit d’amour, qu’elle a vécue comme un viol, et dont le fruit grandit en elle. Comment justifier la présence de cet enfant au retour d’Olivier - que sa bêtise a conduit à rejoindre la France libre du général de Gaulle ? Seule une lettre peut le sauver. Une lettre et une seule. adressée au commandant Schöllenhammer de la Kreiskommandantur d’Andigny. Pour qu’il organise la déportation de Ilse et de cet enfant né d’une passion impie.
Cette réponse sous forme de fiction au principe de la collection " Les Affranchis " montre que c’est en salaud imaginaire que Romain Slocombe porte en lui une lettre jamais écrite ; que la part la plus sombre, la plus honteuse de l’âme humaine ne trouve donc de meilleure place où se montrer que dans le genre épistolaire.