Les Douze Chaises
" Mieux vaut plusieurs fois mourir de rire que sauter une seule fois sur une mine. " (Jurij SOKOLOV)
- Hippolyte, reprit la voix, vous rappelez-vous nos meubles du salon ?
- Lesquels ? demanda Vorobianinov, avec la prévenance dont on n'use qu'avec les grands malades.
- Les meubles... recouverts de tissu anglais à fleurs...
- Ah ! dans ma maison ?
- Oui, à Stargorod...
- Je m'en souviens, mais oui, je m'en souviens parfaitement... Un canapé, une douzaine de chaises, une table ronde à six pieds. De très beaux meubles, signés Gambs... Et pourquoi y pensez-vous ?
Claudia Ivanovna fut incapable de répondre. Son visage prenait peu à peu une teinte couperosée. A Vorobianinov aussi, le souffle vint à manquer. Il revoyait distinctement le salon de son hôtel particulier, la disposition symétrique des meubles de noyer aux pieds galbés, le parquet ciré, brillant comme un miroir, le vieux piano à queue marron et, aux murs, les daguerréotypes des plus illustres de ses aïeux, dans leurs petits cadres ovales noirs. Soudain, Claudia Ivanovna dit d'une voix dure et indifférente :
- Dans un des sièges, j'avais cousu mes diamants...