Carnets de voyage, tome 2 : Aquarelles en Savoie
En ces temps-là, les chaussures de ski, encore en cuir, se laçaient interminablement ; les trains et les cars dans lesquels on grimpait à demi endormi ne possédaient guère de chauffage mais, au bout du voyage, il y avait la Savoie. Ce fut le coup de foudre...
L'expérience viendra et m'enseignera qu'il faut arpenter ses sentiers, emprunter des routes probablement tracées par des mulets, apprendre à nommer ses fleurs, laisser couler les heures au bord de ses lacs et de ses torrents, voir les nuances infinies de ses paysages changer au fil des heures et des saisons, et la dessiner inlassablement pour que la Savoie consente à se livrer un peu. Et à reconnaître, avec quelque mauvaise grâce, que, derrière sa façade respectable, elle n'était pas insensible au déraisonnable : les diables de Bessans, la fontaine du Cœur Flambant chère à Daniel-Rops, les histoires de sorciers du lac Noir dont Henry Bordeaux, oubliant les Roquevillard, se fit le conteur, en témoignent. Tout comme l'ahurissante colonne des Eléphants. À ce propos, se souvient-on qu'avant de porter haut la bannière de Savoie aux confins de l'Inde puis de se métamorphoser en respectable et respecté bienfaiteur, le comte de Boigne, alors qu'il n'était encore que Benoît le Borgne, avait vécu à Smyrne ou en Egypte des aventures dignes de Corto Maltese ? Et que dire de ces retables où, noyés dans les ors, fourmillent des angelots dont certains, à la façon du Chat du Cheshire d'Alice au Pays des Merveilles, ne montrent que la figure ? Leurs joues rouges et rebondies sont celles des garnements qui escortaient les troupeaux au moment de la remue. Tout cela appartient à cette Savoie authentique qui, au delà de ses inévitables métamorphoses, demeure.
À ma manière, c'est à elle que j'ai voulu rendre hommage.
Nicole Tercinet.