De grandes ambitions
De grandes ambitions est écrit comme un roman historique et se lit comme un roman. C'est le récit de la construction de la science économique moderne, et de la façon dont elle a contribué à sortir l'humanité de la misère en lui montrant comment prendre en main son propre destin.
Le récit commence avec la dénonciation par Charles Dickens d'une économie politique fataliste : dans le Londres des années 1840, la ville la plus riche du monde, la condition de la majorité pauvre n'est guère meilleure que celle des esclaves de l'Antiquité. Pourquoi ? Est-il donc nécessaire qu'il y ait un prolétariat ? L'économie politique a jusqu'alors ignoré ces questions, et elle peut légitimement être qualifiée de « science funeste ».
Répondant chacun à sa façon au voeu de Dickens, quelques « grands économistes » vont produire des idées qui vont effectivement changer le monde. Marshall, lecteur de Marx, observe les progrès de la condition ouvrière dans les années 1860 et découvre qu'en réalité le capitalisme ne progresse pas en accroissant la misère des salariés, mais par l'innovation, elle-même aiguillonnée par la concurrence. Irving Fisher montre comment une politique monétaire bien menée peut accroître la stabilité. Beatrice Webb jette avec le mouvement coopératif et les syndicats les bases de l'État-providence anglais.
À partir de là, les économistes vont se sentir en charge de ce que John Maynard Keynes appelle « le problème politique de l'humanité. Comment concilier trois buts essentiels : l'efficacité économique, la justice sociale et la liberté individuelle ? » C'est la grande ambition du titre.
Le livre devient véritablement roman avec les personnages de Schumpeter et Keynes. Mais le livre n'est pas une suite de biographies, fussent-elles flamboyantes : il s'agit de présenter dans le contexte qui leur a donné naissance les idées économiques des acteurs ; car pour la plupart, ces idées se sont formées dans les réponses qu'ils ont dû apporter à leurs crises personnelles, aux guerres mondiales, aux révolutions, aux bouleversements et aux crises économiques.
Le récit se poursuit en équilibrant les libéraux, Hayek, Friedmann, et les continuateurs de Keynes, Samuelson, Joan Robinson, Amartya Sen. Il ne traite pas des événements récents, mais l'auteur, résolument keynésienne, note dans son épilogue (écrit en 2011) : « Il n'y pas eu de seconde Grande dépression. On ne se demande plus si l'intervention publique dans l'économie est nécessaire, mais comment il faut intervenir. »