Philosophie de l'amour
L'héritage théorique de Georg Simmel a longtemps été soumis à des jugements fortement réducteurs : philosophe de l'à peu près , théoricien de l'impressionnisme , amateur d'une philosophie journalistique. Il s'agit de jugements qui ne touchent en rien la profonde capacité du penseur allemand à représenter les tensions et les fureurs d'une époque. Son refus de tout rationalisme universaliste, son relativisme individualiste expriment quelque chose de plus qu'un simple schématisme descriptif : ils sont le résultat d'un malaise dont on ne peut nier la profonde valeur historique. Les écrits sur l'amour en sont une manifestation exemplaire : ici, Simmel considère l'amour comme le fruit d'une motivation primaire, étrangère à l'opposition entre action égoïste et action altruiste. L'éros abolit toute distance entre le je et le tu, en vertu d'une projection de sentiments qui entraîne la complète solidarité, l'adhésion absolue de l'objet au sujet. L'essence de l'amour est par conséquent unitaire ; elle n'est pas la synthèse de facteurs hétérogènes, bien qu'elle se manifeste via une variété de modes et d'attributs différents : sensualité et sentiment, instinct et affection, attirance et sympathie. Ainsi interprété, l'amour est avant tout un rapport que l'individu entretient avec lui-même, sorte de défi de réalisation de soi individuel et irrésolu, qui a pour effet une tension érotique continuelle.