Des petits bals sans importance
Rico est là, sous sa dalle, mort. Sa binette de gitan dégaine encore un sourire grinçant dans l'ovale sépia qui orne sa tombe. Il pleut. Rico est mort. De quoi? On ne le saura pas. Ce qu'on apprend, c'est ce qu'il y a eu avant. Lacoche, son narrateur en selle, remonte sa vie à moto, comme une départementale sous la bruine, borne à borne, arbre après arbre. Une vie chaloupante de ballocheur à la petite semaine, celle de Rico. Une vie terne et éraillée d'accordéoneux errant qui titille l'ivoire de ses touches dans tous les bals perdus, une vie émaillée de vides, d'instants lourds, de regrets amers, de coups au menton et de fausses joies bien réelles.À hanter ces Petits bals sans importance que donne aujourd'hui Le Dilettante, on plonge tête devant dans le planning routinier des Hans Eder, on fait planche commune avec de minces incitateurs à danser en groupe. La basse vibre du câble, la Gibson crépite, la batterie n'avoue pas, même sous les coups; on les voit faire frire des mélodies usées, affûter jusqu'au sang des scies réputées inusables, on plonge sous les tables pour parer aux jets de cannettes, on évite les coups, et puis surtout, on démonte. Toutes ces petites vies ressemblent aux petits bals à l'heure de la démonte: la guitare rentre à l'étui, la basse au fourreau, la batterie sous la housse, on compte les sous, on éponge, on balaie, on aère, on est tout triste. On éteint. Des vies où il semble que l'on ne joue jamais. Soit on répète, soit on éteint. Celle de Rico, de vie, brille un peu plus noir. Il a été C.R.S., s'est marié, s'est mis à boire. Pourquoi suivre la trace de Rico? Parce qu'il est mort et que, lui, il aurait peut-être pu jouer. Le conteur retrame note à note la vie sans importance d'un homme qui aurait pu, qui aurait dû,… si… Mais avec des "si" on fait souvent danser faux tout le canton. Reste la dalle, où Rico est coulé. Salut l'artiste!.