Comment je suis devenu stupide
Tout est affaire de méthode. Même la course au néant. "Surtout la course au néant", rétorque le narrateur de Martin Page. Birman de souche, sorbonnard de maintien, faible mais obstiné, il a décidé de s'offrir en proie au rien, de s'annihiler avec rigueur. Et dans son cas, néant = sottise. Il lui faudra donc "couvrir son cerveau du suaire de la stupidité". Mais d'où plonger pour ce grand bain de vide, d'où s'autopropulser au coeur de l'absence ? Première procédure envisagée : l'éthylisme. Il y a en effet dans l'alcool des potentialités à l'affaissement cérébral, des richesses en matière de dissolution mentale qu'il serait vain de nier et bête de négliger. L'ingurgitation méthodique de breuvages fatals est donc envisagée, ce sous l'oeil d'un spécialiste. Las ! la mousse d'une simple bière n'a pas effleuré la lèvre de notre candidat à l'auto-dissolution que le voilà comateusement jeté à terre. Reste l'acte ultime, qui réclame une volonté de boxeur et une discipline de samouraï : la crétinisation. La tâche s'annonce complexe, l'effort énorme. Il lui faut, pour plier ses bagages mentaux, abolir sa bibliothèque, effacer sa mémoire, dissoudre son QI. Il s'aide pour la chose d'une substance idoine censée le bêtifier sans faille. La chose prend tournure. Mais c'est sans compter avec de redoutables anges gardiens qui s'en viennent glisser sous son oeil vide un choix de la correspondance de Flaubert. Patatras ! Un éclair d'intérêt se remet à brasiller dans cette prunelle promise à l'atonie. Son retour au monde des mammifères célébrés se fera grâce à une espastroulante séance d'exorcisme. Est con qui peut. N'est pas crétin qui veut (vieux proverbe birman).