L'Apocalypse sans peine
L'Homme a un rêve anxieux : l'Apocalypse sur écran plat. Être là à la fin, quand du grand Tout, tout pétera d'un coup. Au balcon et en chaussons, quand Dieu, soûlé de nous, renversera la table et fera valdinguer les couverts. Pour l'heure, il se peaufine de menus cataclysmes, bricole des sabordages à usage perso, s'annule en songe.
C'est une brochette de Millenium pour petits budgets que nous offre Christine Avel dans ce recueil délectable : on y trouvera un ver géant guinéen qui se fore son petit bonhomme de chemin sous-cutané, un enfant qui joue à qui perd meurt, un archéologue atlante en Jacuzzi, une portée de babouins muée en thérapie maritale, un expert-comptable hanté par la fin des Temps, un remugle entêtant pour jeune couple en passe d'enfant. J'arrête la parade de toutes ces épopées minuscules. Gardons-nous des biscuits pour la Fin, la grande, la vraie, l'Ultime et ruons-nous sur les coupe-fins de Christine Avel.
Christine Avel est née en 1968. On ne lui connaît qu'un nombre raisonnable de phobies, deux ou trois idées fixes et une sale manie : écrire.
Son premier roman, Double foyer, a paru en 2005 au Dilettante.
Extrait du livre:
Bastien regarde la mer. Il aime bien avancer là où le sable est très mouillé, là il reste des algues et un peu d'écume, des flaques tièdes et des coquillages qui piquent sous les pieds. Là le soleil frappe si fort sur l'eau qu'il faut presque fermer les yeux pour guetter les vagues.
La vague arrive : Bastien l'attend et elle avance vite, elle touche presque ses orteils alors il court sur le sable avant d'être pris, il pousse de grands cris faussement terrifiés. Il aime bien.
La maman de Bastien a un amoureux. L'amoureux s'appelle Lucas. Lucas et sa maman sont dans une bulle, cette phrase Bastien l'a entendue hier de son grand-père et il imagine Lucas et maman comme des cosmonautes en orbite, flottant dans le ciel dans une jolie bulle transparente. Quand Lucas et maman ne le savent pas, Bastien les regarde : on ne voit pas la bulle, d'accord, mais c'est vrai, elle est là pourtant. Bastien sait que s'il secoue la bulle, Lucas et sa maman ne bougeront pas : mais en posant la bulle il verra un peu de neige tomber sur leurs épaules. Aux flocons de neige sur les vêtements, même en plein été, on saura que la bulle existe et il pourra crier à tout le monde autour : Regardez ! Il neige ! Il neige ! La bulle existe ! Et les gens diront : Il est fort, ce Bastien.