Lénine dada
C’est ainsi. On la croyait dite, la messe, la messe à l’envers, l’anti-Cène qui ouvre la voie des avant-gardes européennes : dans la tabagie d’un tapis franc -zurichois, le Cabaret Voltaire, parmi le convoiement brinquebalant des choppes, les gueulement hilares des présents, l’avènement de DADA, incarné sur maints tréteaux par les Tzara, Arp, Huelsenbeck et autres as nuiteux de la rupture de tous bans possibles. Zurich, œil fiévreux du cyclone européen de 1916. C’était compter sans l’industrie patiente et l’érudition sourcilleuse de Dominique Noguez. Lui enfonce un coin, élargit le cadre et continue à déplier la lettre, découvrant un angle de vue, mettant à jour un post-scriptum hallucinant : DADA ne nous vient pas de l’errance tâtonnante d’un doigt poétisant sur une page de dictionnaire (version de la vulgate), mais de l’exclamation jovialement approbatrice d’un exilé du cru : Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. Lui, qui se serait exclamé, à la vue d’un happening furibond (coups sur caisse pas très claire, violon invisible et danse non-euclidienne) : DA DA! Le grand OUI du grand Russe au grand BI de la jacquerie mentale en ce lieu éclose. Et n’en restons pas là : Lénine aurait, preuves à l’appui, mis la main à la pâte poétique de Dada, et fait de la révolution russe un grand happening ubuesque. C’est la thèse de Noguez. Preuves à l’appui, on vous dit.
L’extraordinaire coïncidence qui fit se côtoyer à Zurich en 1916, plusieurs mois durant, Lénine et les premiers dadaïstes, est longtemps passée inaperçue. L’étude patiente et méticuleuse de cet épisode trop mal connu conduit Dominique Noguez à une découverte stupéfiante, qui remet radicalement en cause la vision qu’on avait jusqu’ici du leader bolchévique, de sa politique et, d’une façon générale, de l’histoire contemporaine.
Traduit en plusieurs langues dont le japonais (mais pas le russe), ce livre où tout est vrai passe depuis près de vingt ans pour un classique du canular. À tort ou à raison ?